A la prison 9 Avril, il existe plusieurs pavillons, probablement de A à G. je n’ai aucune idée sur les caractéristiques des Pavillons A jusqu’au D et G qui sont d’après les rumeurs surchargés en détenus.
Mais le Pavillon F est une Résidence 5 étoiles. C’est une chambrée rectangulaire d’environ 25x6 m avec à droite et à gauches deux rangées de lits en béton à deux niveaux. Juste à l’entrée à droite se trouve une petite pièce sans porte dans laquelle se trouve deux toilettes et deux lave-mains.
La Pavillon F, n’est pas surchargé du tout, il a une capacité d’environ 60 places et à l’époque, il y avait un peu près 3 à 4 places vacantes. Disons, nous étions une cinquantaine de personnes.
Ce pavillon accueille les "Criminels" de la High society, des hauts cadres, des personnalités importantes et ceux qui ont un bon niveau d’instruction ou ceux qui sont recommandés.
Lorsque j’y étais, il y avait un PDG de banque, un PDG d’une très grande entreprise de textile bien connue, deux avocats, des professeurs, 3 Turcs incarcérés pour 50 ans de prison pour trafic de drogue, plusieurs jeunes garçons 19-22 ans détenus pour consommation de drogue etc…
L’un des avocats d’ailleurs travaille dans l’administration de la prison.
L’un des Turcs, un costaud gorille est le Chef de chambre, il est le responsable de l’ordre interne et c’est lui qui affecte les taches de nettoyage de la chambrée.
Contrairement à tous les autres Pavillons, et quoi que c’est interdit, le bloc F dispose de privilèges importants, ainsi on y trouve les couteaux et les fourchettes ainsi que les lames à rasoir pour se raser mais le plus important est que chacun a fabriqué à l’aide de Mr "Système D" sa propre cuisinière pour cuire ou chauffer sa nourriture.
Le premier soir, à une heure précise (je pense après le départ de l’avant dernier garde), j’étais étonné de voir chacun sortir de sa petite cachette (sous le lit, dans un sac, dans un carton, pourvu que ça ne soit pas visible à l’œil nu) sa petite cuisinière et a commencé à préparer son diner.
Le Chef de Chambre, le costaud Turc qui est d’un tempérament plutôt gai, m’invita à partager son diner, chose que j’ai accepté avec un grand plaisir vu la faim qui me pliait en deux.
A dix heure du soir, un dernier garde rentre dans la chambrée (au fait il y a toujours un autre garde dans l’antichambre d’avant qui ouvre aussi sur le pavillon E) et jette un dernier regard. Avant de refermer la porte derrière lui, le Chef de chambre doit alors éteindre la lumière et tous les résidents doivent se tenir dans leurs lits pour s’endormir.
Mal endormi, cette première nuit, je fus réveillé à 6:00h du matin par les cris du Chef de Chambre. C’est l’heure de la première ronde matinale des gardes. Nous nous sommes tenus en "garde à vous" devant nos lits dans le couloir central qui sépare les deux rangées de lits. Le Chef des Gardes de la prison est entré avec un sous-gradé qui le seconde et qui a commencé à faire le compte à haute voix « …. 48, 49, 50, le compte est bon Chef ». Le Chef jette un dernier regard dans le vide et ressort en fermant la porte derrière lui. Ce rituel est quotidien et il marque le début de notre longue journée.
Certaines personnes retournent terminer leurs grasses-matinées, d’autres font la queue pour les toilettes pour faire par la suite la prière matinale et/ou du sport sur place.
Certains préparent du café, d’autres se résignent à un verre de lait froid, un yaourt ou un peu de fromage.
Un second Turc, frère jumeau de Youness Chalaby et bras droit du Chef de Chambre (hiérarchie exige) et venu m’informer que si je voulais acheter quelque chose de l’épicerie, c’est le moment de passer commande.
Il y a de tout dans l’épicerie, sucre, biscuit, yaourt, lait fromage, pain et produits similaires ainsi que les cigarettes, savonnettes, shampoing etc .. et surtout certains journaux notamment La Presse mais en décalage d’une journée. J’ai passé commande de mes besoins tout en payant en bons d’achats à la livraison.
J’ai passé la première matinée à lire un journal, ensuite je me suis déversé dans un livre emprunté. Vers midi / treize heures, la porte s’ouvrit et deux détenus nous ont apporté la "Sabba", l’habituel ragout de prison, il était dégoutant, je ne sais pas pourquoi ils le font de la sorte, d’ailleurs au bloc F, un nombre réduit de personnes le prennent, pour le cuisiner encore avec d’autres ingrédients et le manger.
Je fus encore pris en charge par d’autres personnes qui m’ont invité à leur table pour un repas improvisé. Le déjeuner était bien bon et j’ai mangé à ma faim. Il y’avait même un fruit en guise de dessert.
Les ingrédients de cuisine, quelques légumes et fruits ont été livrés par les parents même des détenus et ces derniers s’arrangent de les consommer suivant la fréquence de la visite familiale.
A 17:00 h, un garde à ouvert complètement la porte du Pavillon, c’est l’heure de la marche à pied.
Je suis sortit du pavillon et à travers le vestibule central, j’ai accédé à une cour rectangulaire d’environ 30 x12 m. Il y avait aussi les prisonnier du pavillon E, qui sont pour la plupart des étrangers, égyptiens, algériens, marocains, sénégalais etc … ainsi que certains détenus politiques.
Comme autour d’une Kaaba virtuelle, la majorité des détenus marchait tout en faisant des tours et des tours autour de cette cour. Des dizaines, peut être des centaines de tours. Je me suis mi à mon pèlerinage, à suivre les marcheurs dans le sens opposé de l’aiguille d’une montre.
Vaguant, allant vers une destinée sans fin, ne pouvant ni focaliser ni me concentrer, je me suis laissé au rythme de ceux qui me devançaient.
A 18:00 h, comme un troupeau de bétail, nous avons été conduits à notre Pavillon, je suis resté auprès de la porte pour entendre la clé pousser les cylindres de la serrure en 3 tours.
Je suis allé au lit, je me sentais déprimé, révolté mais comme un drogué je ne pouvais pas agir, je ne pouvais rien faire.
Un premier cycle d’une journée type vient de s’achever.Les jours suivant étaient beaucoup moins durs que le premier, j’ai été intégré dans cette communauté et j’ai passé mon temps entre la lecture, les jeux de cartes (belote et rami), à faire de belles parties de scrabble et surtout à affirmer ma dominance en tant que champion du Pavillon au jeu d’échecs.
Le 3éme jour j’ai reçu la visite de ma femme. Bien sûr, je l’ai rencontrée à travers les barreaux d’une salle misérable et répugnante. Elle était moralement à zéro. Elle a eu sa propre aventure pour avoir un pass de visite. Avec tous mes respects aux familles qui viennent visiter leurs enfants et parents, c’est très dégradant de faire la queue devant la prison avec le fameux couffin "El koffa" qui contient de la nourriture pour 3-4 jours. Certaines nourritures sont interdites en raison du risque de passation de drogues ou de petites armes blanches.
Ma femme m’a informée qu’elle a pris deux avocats qui ont déjà contacté le juge afin de me convoquer pour la semaine prochaine.
J’ai conseillé à ma femme de ne plus revenir me voir, mais elle est revenue encore une fois (avec le fameux couffin) pour m’informer que le juge a accepté la requête des avocats pour me convoquer en audience le début de la semaine ç-à-d exactement 8 jours après mon internement.
En réalité, des amis ont contacté directement le juge en personne et lui ont expliqué mon cas.
Les jours se sont succédés pareils, identiques, les mêmes actions, les mêmes horaires, les mêmes personnes. Une monotonie à rendre fou.
Le Dimanche, 7ème jour de mon emprisonnement, j’ai été appelé avec un groupe de prisonniers pour allez à la séance hebdomadaire des douches. C’est une grande salle avec des canalisations trouées qui passent en dessus de nos têtes d’un côté à l’autre de la salle. Chacun se met sous un trou pour se mouiller le corps avec de l’eau bonne et tiède. On doit faire vite parce que l’eau sera coupée quelques minutes pour nous permettre de se frotter le corps et de faire un coup de shampoing. Quelques minutes après, l’eau revient pour la douche finale. La séance dure 15 à 20 minutes et retour à la chambrée.
Ainsi s’achève le circuit hebdomadaire d’un détenu au Pavillon F de la prison 9 Avril de Tunis.
Lundi matin très tôt, je fus rappelé par un gardien que j’ai une séance "Jalssa" au Tribunal de Tunis. A environ 8:00 h, après une fouille dans la salle de mise à nue mais sans me déshabiller j’ai été conduit à une fourgonnette qui m’amena au Palais de Justice, exactement dans cellule avec laquelle j’ai commencé ma première note.
Après une attente interminable, je fus convoqué. Un policier m’emmena par un petit escalier pour finir dans une salle d’audience pleine de monde, notamment des avocats, des témoins, des accusés, d’un juge et de ses deux magistrats, d’un secrétaire et d’un autre juge ou procureur qui se place du côté opposé du secrétaire.
J’ai pris place dans le banc des accusés dans une position qui ne me permettait pas de chercher ma femme. Après le défilé de plusieurs accusés, le juge annonça mon nom, je le suis levé et je me suis placé dans la tribune centrale. Il me questionna sur mon nom, ma situation familiale, mon travail et sur mon accusation, je ne pouvais que répondre par oui. Ensuite il donna la parole à mes avocats qui demandèrent ma remise en liberté et qui expliquèrent que ma détention n’était pas nécessaire du tout. A la fin, ils s’engagèrent que je serai à la disposition de la justice lors de toute convocation en jour et heure voulue.
« Délibération en fin de séance » rétorqua le juge.
L’un de mes avocats me salua et j’ai pu voir ma femme derrière lui, toute triste, le visage terne.
Un policier me ramena à la fameuse cellule, exactement comme au début de ma fameuse aventure. J’étais très brouillé, ma femme m’a assurée que je serai libéré aujourd’hui. Qu’est ce que je fais encor ici ? Pourquoi on ne m’a pas encore relâché ? et si le juge à changé d’avis ? comment vais-je encore passer une autre semaine en détention.
J’ai fini par me calmer et de laisser le sort maitre de la décision. Pour la première de ma vie et pendant 8 jours, j’ai été incapable de décider de ma propre vie. D’autres personnes sont devenues maitres de mon Destin.
Vers 14:00 h, rebelote, je remontais pour la seconde fois dans la fourgonnette qui a pris la destination de Ma Prison mais cette fois-ci à l’arrivée on m’informa que je serai relaxé aujourd’hui même. Ouuuuuuuuffff, enfin.
Je suis retourné à Mon Pavillon après encore le passage par la chambre de fouille. Ce fut à 19:00 h que j’ai obtenu mon attestation de libération "Bitaket Sarah". Un garde m’accompagna par des multiples petits couloirs à travers plusieurs portes métalliques, pour me retrouver à la fin dans la rue à côté de l’Hôpital Ophtalmologique. Ma femme et mon Patron étaient là entrain de m’attendre depuis 14:00 h.
PS:
- Excusez mes erreurs de conjugaison et d'orthographe, je n'ai pas eu le temps de faire une lecture approfondie
- Je sais que c'est long mais je n'ai pas pu faire plus court