dimanche 25 juillet 2010

Djerba à travers le temps et l'espace

Je suis à Djerba, été 2010 et à travers l’histoire transcrite, les informations recueillies sur place, ma petite visite de l’île et un peu d’imagination, je pars faire une petite virée dans cette oasis flottante, dans son espace et surtout à travers son temps. Je suis à Djerba quelque part en 1900, en 1800, 1700, peut être en 1560, en 1280 ou même au VIIIème siècle AJC lorsque Ulysse traversa l’île des Lotophages lors de son propre voyage.

Peu importe la date, je suis à Djerba, lorsque tous ces hôtels n’existaient pas encore, lorsque les étrangers ne venaient pas en touristes mais en tant que commerçant ou conquérants et que les faux bateaux pirates qui baladaient les visiteurs sont pour de bon des vaisseaux pour corsaires qui faisaient peur aux navigateurs de la méditerranée … lorsque Djerba était un vrai repaire de pirates redoutés.

Je suis à Djerba quelque part au moyen âge … les routes bitumées n’existaient pas et le béton armé n’avait pas encore été inventé et c’était des petites pistes qui sillonnaient l’île et des heures il fallait à bord d’un cheval pour partir du bordj Qastill (Castel) et rallier bordj el Kébir construit en grandes pierres et badigeonné par du mortier de l’époque.
A cette époque, il n’y avait pas des motorboats ou des vedettes rapides mais des barques à voiles avec des vrais marins, des tartanes, des esquifs, des loudes ou des felouques qui parcouraient les eaux peu profondes de la côte de l’île pour accoster sur des plages sablonneuses et désertes où nul ne venait se baigner, sauf de rencontrer parfois des négresses qui lavaient de la laine nouvellement collectée ou des pagnes bariolées aux couleurs locales, les fameux Haïks ou Beskri Djerbiens.


Le petit voilier glisse déjà sur l’eau par la grâce d’un vent léger. L’eau est calme et transparente et le soleil fait briller le sable du fond. On distingue bien déjà les coraux, des bancs d’éponges, les poissons abondent et les poulpes pullulent mais le tout fuit à l’approche de notre barque. Ils n’iront pas loin, ils finiront dans la pêcherie fixe d’un pêcheur Djerbien.


A un certain moment notre barque passe à côté des Zribas qui sont des pêcheries fixes bien originales dans leur concept basé sur le phénomène du flux et du reflux pour capturer les poissons. La Zriba est une sorte de closerie ou de haie faites par les branchages des palmiers enfoncés dans la vase afin de guider les poissons qui sont amenés par le courant de la marée vers des Achouchas (nids). Les poissons finissent dans des pièges Drinas dans lesquels ils rentrent sans possibilité de sortir. Chaque jour à marée basse, le pêcheur-fermier, rentre à pieds, sans que l’eau dépasse sa ceinture ou à felouque pour les plus fortunés, au large de la mer, sur plusieurs kilomètre, afin de cueillir ce que la providence lui a mis dans son panier.


De loin, à partir du petit voilier qui me transporte, je peux déjà distinguer la profusion des palmiers parsemés de Houchs aux kobbas coupoles blanches. Ces maisons forteresses sont construites en pierres ou en briques de terre et sont badigeonnées avec de la chaux blanche pour refléter ailleurs les rayons de soleil et garder une certaine fraicheur intérieure.

Autant que mon voilier longe la côte, autant que je compte dans les petites agglomérations le nombre important de minarets de formes différentes suivant la localité. Tout proche des plages et à la lisière même de l’eau je croise plusieurs zaouïas parsemées et faisant office de gardes-côtes pour guetter l’éventuelle arrivée de l’ennemi et le signaler par un système de fumée à tous les habitants de l’île pour s’y préparer et se fortifier dans leurs bordjs, menzels et même dans certaines mosquées qui ont été construites comme des bastions de protection avec toutes les utilités de survie tels que les fours et les citernes d’eau.

Les côtes de Djerba sont défendues par plusieurs forts, dont certains ont complètement disparus aujourd’hui et d’autres ont été transformés pour autres usages. Deux forts étaient quasiment bâtis dans l’eau Bordj El-Bâb, commandant la chaussée romaine et Bordj Tarik El Djemel (Chemin des Chameaux) gardant le gué dont les chameaux pouvaient franchir à partir du continent, et dont la profondeur maximum dépassait parfois les deux mètres en certains endroits.

D’autres forts, construits suivant les notions stratégiques du moyen âge, sont un peu dispersés sur le littoral, le Bordj El Qantara, à l'extrémité nord de la chaussée antique ; le Bordj Terbella (ou Bordj el Akrab : fort du scorpion) de forme circulaire et se trouvant sur le cap à l'ouest du Tarik El Djemel et le Bordj Qastil (bâti par les Siciliens en 1289 pour servir de retraite à leur garnison lors de sa sortie dans l’île) de forme carré qui se situe sur la pointe de Sidi El Mersi (Saint Marcel qui avait la réputation de guérir la stérilité féminine).
Le Bordj de Sidi Moussa se trouve à l’est de l’île et un autre devant Aghir. Le Bordj El-Marsa devant Ajim ; Bordj Djerib, en ruines, à l'angle nord à l'ouest de l’île ; le Bordj Beni Aissa et le Bordj Beni Gala, sur la partie ouest de la côte nord ainsi que Bordj Jilij à la pointe ouest du nord de l’île construit par Ali Bey en 1745 sur les ruines d’un fort espagnol "la Tour de Valgarnera".


Sur la plage de Houmet Essouk, Bordj el Kébir ou Bordj Essouk veille sur la partie est de l’île. Ce majestueux Bordj qui était jadis armé de vingt gros canons et une batterie de seize fortes pièces a conservé une allure imposante qui domine le paysage plat de la région. On y accède par une terrasse garnie de vieux canons à demi enterrés. Un pont-levis franchit le fossé ; une grandiose porte s'ouvre, puis d'interminables couloirs qui mènent vers les salles de garde, les banquettes où se couchaient les chaouchs, les salles de munitions, le bloc réservé au capitaine du fort, les râteliers où l'on suspendait les armes.
Deux pentes mènent en haut des remparts crénelés ; l'un regarde vers la mer, l'autre vers l'intérieur de l'île ; ils sont réunis par des chemins de ronde desquels on guettait l’horizon pour détecter toute intrusion.
D’après la légende, les immenses souterrains qui doivent contenir des trésors amassés sont restés introuvables jusqu’aujourd’hui … personne ne le sait, peut être Ghazi Mustapha ?, le caïd établi par Dargouth Pacha (Dragut) pour gérer les affaire de l'île et dont les ossements dorment sous sa coupole à l’ombre d’un palmier au pied du grand minaret du fort ?

Je contourne le fort et en face de la mer et j’entends encore les cris de détresse des huit milles personnes emmenés en captivité par l’amiral Roger de Lauria, l’un des principaux officiers des rois d’Aragon et de Sicile qui conquit l’île en 1284 en dépends du pouvoir Hafside. Il mit tout au pillage, massacra quatre mille Djerbiens, fit un immense butin et soumit la population restante à un impôt annuel de cent milles pièces d’or et pour protéger sa garnison qu’il a laissé sur place il y bâtit ce château fortifié sur l’emplacement d’une fortification romaine.

Et un peu plus loin, une stèle, un petit monument ordinaire qui indique l’emplacement d’une tour des crânes, c’est de qui ? et pourquoi ? … je ferme mes yeux et je voyage à travers le temps pour me retrouver en 1560, en habit de corsaire turc, la tête couverte d’un turban et portant un gilet rouge fermé sans boutons et couvert d’une veste bleu sans manches. Mon pantalon bouffant marron et tenu par une large ceinture pourpre et je suis chaussé par des grandes bottes en cuir et ayant pour uniques armes, un cimeterre en queue de lion à la main, deux pistolets à silex passés à la ceinture et une arquebuse portée en bandoulière.

Nos quatre-vingt-six galères et galions étaient commandés par Piyale Pacha et Dargouth et cela fait quelques jours que nous sommes prêt pour tout abordage et tout assaut et que nous naviguons depuis Istanbul à pleines voiles vers une destination inconnue des marins. Soudain vers l’aube, du haut du mât du galion amiral, un matelot crie « ennemi en rade ! ». Nous abordons l’île de Djerba avec en face une flotte constituée de cinquante-quatre galères, sept bricks, dix-sept frégates, deux galions, vingt-huit navires marchands et douze petits navires en sus des douze mille soldats. Ils étaient fournis par une coalition composée des républiques de Gênes et Naples, de la Sicile, de Florence et des États Pontificaux de l'Ordre de Malte sous le commandement de Giovanni Andrea Doria (neveu de l'amiral génois André Doria).

La flotte ottomane, fend en tout vent sur ses ennemis. La bataille est une affaire d'heures pour que près de la moitié des galères chrétiennes soient prises ou coulées et que les soldats soient abattus dont cinq mille seront détenus prisonniers. Les survivants sont allés se réfugier au Bordj de Lauria alors que leur commandant Giovanni Andrea Doria réussit à s'échapper dans un petit navire.

Après cette victoire, nous débarquons sur la terre de l’île et nous demandons au commandant du bordj, l’officier Alvar de Sande de capituler et de nous livrer le fort. Il accepte sous la condition qu’on mette à sa disposition un navire pour quitter l’île avec ses soldats. Sa requête a été refusée et une partie de nos soldats s’est retranchée devant le bâtiment afin d’entamer un blocus en bonne et due forme pour affamer les envahisseurs.

La garnison espagnole résiste des longs mois avant de finir en drame au lieu de capituler. Je me rappelle bien de cet après-midi chaud lorsque soudainement les braves défenseurs jaillirent de leurs retranchements et nous ont pris en surprise en sortant tous ensemble et en nous assaillant. Dans un ultime espoir, ils se jetèrent sur nos lignes défensives, pour les percer. Ils voulurent profiter de la confusion et de la surprise que leur attaque allait causer dans nos rangs, pour gagner précipitamment le rivage, s'emparer des premiers bâtiments qui leur tomberaient sous la main et prendre le large.

Vain espoir, nos soldats étaient bien prêts et ils se sont ralliés, enveloppant la petite armée des héros en les abattant à coups de sabres, de glaives et de pistolets. Le valeureux Sande, tout criblé de blessures, survit seul à ses compagnons ; il court vers la plage, saute à bord d'un navire ensablé, s'adosse dans une de ses cabines et, l'épée à la main, il nous attend bravement.
Nous envahissons aussitôt le pont du navire, entourant le brave officier. J’ai intervenu dans sa langue pour le convaincre de cesser toute lutte désormais inutile et avoir la vie sauve au lieu d’être taillé ou même brûlé vivant sur l’épave. A bout de force Sande demande de rendre son épée uniquement à Dargouth. J’ai calmé la frénésie de mes compagnons est le laissant libre, j’ai conduit Sande devant le pacha, a qui il remit son arme. Dargouth le reçoit de avec un accueil digne à la fois de son malheur et de son grand courage .

Afin de consacrer notre victoire dans la bataille de la mer et semer la peur dans les cœurs des futurs assaillants, nous avons élevé, sur le théâtre même de la fin de notre dernier exploit, une pyramide entièrement composée de crânes et d'ossements ennemis. C’est la fameuse Tour des Crânes Bordj Errious constituée des ossements d’environ deux milles soldats espagnols.

… Je me réveille de mon rêve à travers une réalité du passé … ce trophée sera plus tard démolit en 1848 après intervention du consul Général de France auprès d’Ahmed Bey qui accepta d’ériger à sa place un monument plus neutre avec une inscription rappelant les faits … et depuis les ossements reposent dans un caveau d’une convenable sépulture dans le cimetière chrétien de Houmet Essouk.



Houmet Essouk, la capitale de l’île a été fondée au Xème siècle par le savant Ibadite Fadhel Abou Messouer sur l’emplacement d’un marché hebdomadaire appelé Souk el Khamis (marché du Jeudi). Elle se trouve relativement éloignée du rivage et elle n’est pas protégée par une muraille. D’un aspect très simple, cette petite agglomération est centrée autour d’une place principale constituée d’échoppes et d’un ensemble de bazars qui constituent un mini-souk à l’architecture arabo-ottomane.

Il fut un temps où ses souks fermaient en permanent le vendredi, le samedi et le dimanche en respect aux jours de culte des arabes, des juifs et des chrétiens, qui observent scrupuleusement le repos de leur jour saint particulier, et comme vraiment il ne serait point raisonnable de travailler tandis que le voisin se repose, chacun observe également le repos imposé par les autres cultes. Donc, quatre jours sur sept, un va-et-vient continuel de vendeurs et d'acheteurs, sous des ruelles voûtées ou couvertes de planches, en des galeries tortueuses et entrecroisées. Chaque corps de métier a sa rue particulière. Le souk de la laine, le souk des cuirs, celui des orfèvres, celui des tapis.

Les oliviers bordent Houmet Essouk de tous les côtés et ils sont parsemés encore de petites tombes de saints vénérés ou de martyrs guerriers tels ceux qui sont venus libérer l’île de la domination du roi de Sicile en 1335 sous le règne du khalife Abou Yahia Zakaria et curieusement soutenus par les flottes combinées de Gènes et de Naples, qui empêchèrent les Siciliens de porter secours aux assiégés.
Les musulmans finirent par se rendre maîtres de l’île et de la forteresse. Le gouverneur fut lapidé, les soldats réduits en esclavage et les Djerbiens prirent leurs habitudes de piraterie et pendant plusieurs années leurs Raïs, avec la bénédiction des marabouts, partirent en course, sillonnèrent de nouveau la Méditerranée faisant des riches captures au détriment du commerce européen et contre tous les accords conclus entre les Rois et Princes d’Europe et le Sultan Hafside dans l’autorité sur l’île était presque nominale.
L’apogée de cette activité sur l’île culmina vers 1510 lorsque deux corsaires turcs, Baba Aroudj ou Barberousse et son frère Khair-Eddine terrifièrent par leur audace toute la Méditerranée et les rivages chrétiens à partir de leur repaire Djerba qui devient le centre de leurs opérations.


Houmet Essouk s'enorgueillit de quatre mosquées qui l'entourent. C'est d'abord Djemaa Ettrouk (mosquée des Turcs), celle dont le minaret bizarre étonne à l'arrivée et qui fut construite par Ghazi Mustapha. Puis Djemaa Sidi Brahim el Jemni ; son dôme écaillé de tuiles vertes et surmonté du croissant repose sur des colonnes en marbre et des chapiteaux corinthiens provenant de l'antique Meninx.
Djemaa el Ghorba (mosquée des étrangers) est environnée par le cimetière. Les fidèles sont les étrangers dont le rite musulman n'est pas bien défini. Enfin Djemaa Ech-Cheikh voué au culte ibadite multiplie ses dômes très clairs et ses voutes autour d'un minaret carré.
Djerba est connu aussi pour être le dernier sanctuaire de la secte wahhabite en Tunisie, spécialement de sa faction ibadites qui a su s’acclimater avec le pouvoir des beys hanéfites et de la majorité sunnite de rite malékite.

Vers le sud de Houmet Essouk, sur un grand emplacement, se tient deux fois par semaine, le lundi et le jeudi le Grand Marché auquel on vient de tous les coins de l'île. Berbères, beaux aux teints clairs, drapés de couvertures de laine brunes ou grises, poussant devant eux leurs bourriquots chargés de légumes et de fruits ; Arabes hauts et fiers, en burnous blancs, venus du désert au pas lent de leurs chameaux ; des négresses toujours rieuses accroupies devant des amas de dattes sèches en face d’un vieux pêcheur à l’air sérieux, accroupi devant son étalage d’Ouzef les petits anchois séchés tandis que des noirs dans leurs costumes rouges et blancs jouant avec leurs zokras et tambours sautillent sur des chants aux paroles illisibles.

Sur une estrade en bois de palmier, je reconnais un poète improvisateur, Ali Saidane des Douiret qui aliénait ses mots à une nombreuse foule qui l’applaudissait. Tour à tour, il évoquait les souvenirs de sa maîtresse bien aimée ou une journée de chasse au Sahara, il chantait sa rythmique pensée à propos de ses razzias et ses combats et il décrivait avec sérénité tout ce qui faisait l'émotion et le charme de la vie du désert, dont il connaissait tous les secrets.

L’attention des jeunes femmes enveloppées dans leurs haïks colorés fut attirée par les plus audacieux commerçant du marché, les juifs à turbans de couleur qui se faufilant a travers les groupes offrant au plus haut prix des marchandises exotiques et rares avec la devise : vendre peu et cher.

Djerba possède deux villages juifs, La Hara Kbira et la Hara Sghira. Les hommes sont reconnus par leurs turbans rayés et leurs femmes bien rondes et belles par leurs couvertures zébrées dans lesquelles elles s’enveloppent. Les Juifs de Djerba ont toujours vécu sur cette île depuis leur premier exil à l’époque de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Ils révèrent la Ghriba, leur temple qui reçoit chaque année un pèlerinage intense des juifs parsemés un peu partout dans toutes les villes et tous les villages du royaume de la Tunisie.

Dans cette synagogue, des prêtres barbus et solennels, coiffés de leurs bandeaux rouges tombant sur les épaules lisent dans un rythme mystique la Torah et le Talmud. Une légende locale assure même que les Tables de Lois reçues de Dieu par Moïse sont gardées dans un endroit secret de ce sanctuaire et que c'est coutume que l'on a de faire prêter serment, en cas grave, devant la porte du Saint des Saints interdit au profane. Tout parjure, dit la légende meurt dans l'année.


Je quitte la petite ville grouillante pour la campagne et la plage brûlante pour les souanis ombragés. La mer n'est plus visible et la brise n'apporte plus d'âcreté saline, mais l'odeur des champs et des jardins.

A Cedriane, je me repose à côté d’un puits bien profond et un jeune garçon me demande si je veux de l’eau. Avec un sourire enfantin, je hoche la tête positivement et le petit faufile vers le Majen de côté (citerne souterraine pour la collecte d’eau de pluie), ouvre la bouche d’entrée et envoi son petit seau métallique plonger dans le liquide sacré. J’ai bu et remercié Dieu et le garçon et la vision d’un soldat espagnol étranglé me vint en face.
Le compteur du temps recule jusqu’à 1510, lorsque Pierre de Navarre de concert avec Don Garcia de Tolède, attaque Djerba. Son armée, extenuée par la chaleur, s'étant débandée autour de quelques puits, les Djerbiens se ruèrent sur elle, et la taillèrent complètement en pièces.


Les Djerabas sont de race berbère mozabite qui a depuis longtemps appris à bien tirer profit de ses terres. Les cultivateurs, qui forment la majorité, sont plus laborieux que la plupart des autres peuplades et tribus de la Tunisie. Aussi ont-ils transformé leurs sols sablonneux en de magnifiques jardins parsemés en champs d'orge, potagers, vignobles.


Je continue ma promenade à travers les nombreux enclos de Mahboubine, où pareil à toute l’île, les habitants vivent sur le terrain qu'ils cultivent ; ils y ont leurs demeures, qui sont de la sorte, pour la plupart, disséminées, au lieu d’être réunies en villages, en bourgs et en villes. Les Djerabas vivent par familles groupés en deux, trois ou plusieurs maisons appelées Menzel qui paraissent de dehors comme des murs droits, soutenus de contreforts, avec, pour toiture, une suite de voûtes faites de tubes creux en terre cuite, enchâssés les uns dans les autres, et badigeonnés de chaux. La plupart des Menzels sont entourés de puits et de citernes d’eau enfouies sous terre ; certains autres disposent d’huileries ou d’ateliers de tissage.


Je dévale vers l’Oued Zbib, du côté du village de Srandy là où existent les puits les plus abondants et les plus doux de l’île. Des arbres fruitiers de toutes sortes : figuiers, grenadiers, abricotiers, amandiers, pistachiers sont mêlés à d’élégants palmiers qui les dominent et côtoyés par les plus beaux oliviers centenaires de ce pays qui croissent dans un ordre géométrique bien tracé de telle sorte que la compagne est bien cadrée par des plantations bien peuplées.

À Djerba l'humidité, due à la proximité de la mer, empêche la prospérité des belles variétés des dattes des 500 000 palmiers qui ont un certain moment existé sur l’île. La variété dominante donne un fruit appelé Garn Ghezel (Corne de Gazelle) qui est long svelte et courbé ayant un grand noyau est une chair mince et dont la saveur et la douceur sont de qualité très inférieure aux variétés qui se commercent le plus dans le royaume de la Tunisie. De même, qu’il ne peut pas être trop conservé et il doit être consommé rapidement avant de devenir moisi, autrement, il reste un bon fruit pour produire après distillation un excellent brandy. Sinon, le palmier est taillé à sa couronne pour en extraire cette sève sucrée le Legmi, qui en fermentant, devient le vin de palmier.

Actifs, intelligents comme les Berbères, la race desquels ils appartiennent et doués à un haut degré du génie du commerce, les Djerabas ont aussi, depuis toujours gardé leur réputation d’habiles industrieux et outre qu’ils ont investit tout le pays de la Tunisie avec leurs échoppes et petites épiceries, ils ont fondé même des comptoirs à Tripoli, le Caire et Constantinople et encore loin. Le commerce de la laine et des étoffes était leur point fort.

Il fut un temps ou le nombre de tisserands Djerbiens de haïks, houlis en coton, laine ou soie et de farrachias, de kadrouns, kachabia, wazras et burnous a dépassé les deux mille et leurs produits étaient les plus chers et les plus renommés du Maghreb. Ces tisserands, qui au lieu d’être entassés dans des ateliers communs, confectionnent, disséminés dans leurs maisons particulières, les magnifiques étoffes et tissus en laine, en coton et en soie, pour lesquels ils n'ont point de rivaux dans toute l’Afrique du nord.



Sur un cheval arabe de pure race dont grouille l’île, je continue ma balade à travers les jardins parfumés de couleurs. D’Aghir, le galop me mène loin, dans l'extrême sud de l'île et au niveau de la Kantara, je garde en souvenir la vue d'une caravane de chameaux qui passait à gué la mer. Leurs longues ombres s'étendent sur l'eau ; leurs jambes grêles y plongent, et leurs têtes suspendues au bout de leurs longs cous se penchent, comme pour flairer l'écume alors que leurs corps s’enfoncent plus profondément et que les petites vagues atteignent leurs poitrails.

Le laps d’un moment je me noie dans une vision et je me retrouve en 1550 sur une galiote commandée par le Raïs Makhlouf el Djerby, faisant partie de la flotte du valeureux corsaire Dargouth Pacha et nous sommes en rade dans la mer close de Boughrara là où nous avons établi notre base navale.

Hier soir tous les officiers se sont assemblés avec Dargouth dans une réunion importante. Nous sommes piégés avec nos vingt galères dans cette baie artificielle par les flottes imposantes de Juan delle Cerda Duc de Medinaceli d’Espagne et de l’amiral et condottiere de la république de Gênes André Doria. Impossible de quitter les lieux, en face, les vaisseaux ennemis et en arrière la route romaine qui barre le passage vers le large. Mais il parait qu’en dépit de leur supériorité, la flotte ennemie ne va pas nous attaquer pour le moment, l’amiral Doria a envoyé une frégate rapide demandant des renforts aux états italiens afin d’assurer la victoire sans la moindre perte.

Le conseil de guerre turc, après avoir parcouru toutes les options, y inclues celle de brûler nos navires et de quitter les lieux vers tripoli par voie de terre et suite à la proposition de mon commandant Makhlouf qui connaissait bien les parages, décide de creuser un passage dans la vase peu profonde et puis après démanteler les pierres de l’ancienne chaussée afin de créer un goulet, dans un endroit bien précis pour faire évacuer nos navires et nos soldats.

A l’aide de deux milles Turcs et Djerbiens, nous dégageons un passage dans le canal au niveau d’un endroit ou il y avait beaucoup de sables et peu de rochers. Notre petite armée secrète travaille le soir pour ne pas être détectée par les ennemis et les coups de pioches sont camouflés par les coups de canons du fort avoisinant et de tous les vaisseaux. Huit jours après tout était prêts pour la grande évasion. Les galères passent, glissant sur des planches de bois et tractés par des cordages, et Dargouth redevient libre de nouveau et fait cap vers Tripoli.



Je visite encore les plages vides de sable d’or et je revois de nouveau la mer. Le soir, soleil couchant, le dernier reflet de cet astre, pareil à un incendie subitement étouffé, s'évanouissant en ce moment derrière les cimes des palmiers.

Je respire l’air très fort au point que le temps s’immobilise et que je n’existe plus ; je ne respire librement qu'au milieu des solitudes aux horizons infinis … ici, aujourd’hui, le soleil a été le plus chaud, le ciel le plus bleu et le jour le plus clair que n’importe où ailleurs. Je respire encore … l'air amollissant et tiède s'y savoure comme un fruit : n'est ce pas ici que naquit la légende des Lotophages ?

Dans l’antiquité Djerba avait porté plusieurs noms, elle était appelée également Meninx par Polybe, Strabo et Plane. Un passage d'Aurelius Victor, prouve que dés le IIIème siècle de notre ère, elle portait le nom sous lequel on la connaît aujourd'hui : « Creati in insula Meninge quæ nunc Girba dicitur ».
La fameuse Table de Peutinger signale de même une ville du nom de Girba parmi les quatre qu'elle mentionne dans cette île. Pline et Agathémère évaluent même sa superficie et décrivent sa géométrie. Elle était appelée aussi Pharis par Théophraste, Scylax par Brachion et peut-être Phla par Hérodote et son nom le plus commun est l’île des Lotophages d’Ératosthène et d’autres auteurs grecs.

Ainsi, cette patrie des Lotophages a eue l’honneur d’avoir un nom immortel par un vers d'Homère « … ces hommes ne méditent point la mort de nos envoyés, mais ils leur présentent le lotos ; et à peine nos compagnons ont-ils goûté le doux fruit, qu'ils ne songent plus à revoir les champs paternels : leur seul désir est de rester en cette contrée avec les Lotophages et d'oublier l'heure du retour … »

Depuis longtemps, plusieurs fameux érudits ont essayé de chercher et d’identifier le lotos … et nul ne l'a réellement retrouvé, sauf un seul, un français (dont j’avais noté la citation et oublié le nom), qui a écrit dans un livre paru en 1893 que le vrai nom du lotos : c'est le CHARME ! Voilà, le doux fruit qu'avaient gouté les compagnons d’Ulysse dans l'île des Lotophages et qui leur fit oublier leurs pays … et ce fruit, Charme est bel bien exquis et attire encore aujourd’hui pas mal de visiteurs à cette contrée bien particulière.

En songeant aux sirènes d’Ulysse, je passe ma nuit dans une couche improvisée de branchages de palmier et bercé par le son régulier et calme des vagues je m’endors en contemplant les étoiles du sud et Orion m’apparut pour la première fois sous les traits d'un prodigieux chasseur comme dans la célèbre Odyssée d’Homère, où Ulysse aperçoit son ombre dans le monde souterrain. Accompagné de son chien Sirius, il me mène loin à travers l’univers pour chasser les rêves les plus divers. Il me quitte avant l’aube et me ramène à terre pour assister au lever du soleil.

Le matin au moment où l’aurore tendre vire du rouge mulâtre au blanc argenté, inondant tout à coup d'une clarté la mer somnolente et silencieuse, je vois venir de loin des centaines de barque de pêcheurs d’éponges envahissant l’île.

La machine du temps sautille en avant et je me retrouve en 1864, en pleine époque de troubles qui ont bouleversé tout le pays contre l’autorité du Bey et en raison des haines violentes éprouvées par des tribus contre d’autres ethnies, et pendant le mois d’octobre, trois à quatre mille hommes armés des tribus voisines se sont réunis sur plusieurs points aux alentours de Djerba, sous prétexte de commerce. En une seule journée et dans un mouvement coordonné, ils se précipitent sur le bazar, sur les magasins et à travers le quartier juif, ils se livrent pendant cinq jours à un pillage en règle, à des actes d'atroce barbarie et à d'ignobles meurtres laissant derrière eux deux milles cadavres.

Ils reviendront encore en janvier 1865, sous la manigance des Anglais qui ont semé la zizanie et la haine entre les Arabes et les habitants de Djerba, afin de se faire céder cette île, dont l'excellente situation vis-à-vis de Malte aurait excité leur convoitise. Les tribus Akkéra et Ouerghamma, poussés par la passion du butin, envahiront de nouveau l'île. Ils voulaient cette fois dépouiller et tuer les chrétiens qui depuis novembre 1864, s'étaient retirés avec leurs biens les plus précieux chez les Djerbiens. Les Anglais auraient prétexté le meurtre des chrétiens pour s’emparer de l’île.



Après cette funeste vision, le premier rayon du soleil de ce matin étincelait sur le miroir de l’eau et cet éclair comblât mon cheval qui le salua par un hennissement en frappant du pied le sol. Cet étalon réunissait, au plus haut degré de perfection, tous les signes qui caractérisent la race arabe. L'œil intelligent et fier, la tête aux méplats élégants, la croupe délicatement ondulée, et cette jambe fine et nerveuse, qui dénonce la célérité de l'allure, dont la persistance se révèle par l'ampleur de la poitrine et la largeur des jarrets qui donne aisance et puissance à son cavalier.

Je remonte aux trots à Sedouikech et juste à mon arrivée j’entendis les flutes zokras et les tabls tambours et les chants sur l’eurythmique locale. En avançant à la lisière d’une Tabia (haie naturelle de figue de barbarie ou d’aloès Véra) et au vu du spectacle mon cheval devint énervé avec l’accélération progressive de la cadence du gougou et les sauts frénétiques des danseurs noirs de la confrérie de Sidi Saad.

Soudain, une horde de cavaliers aussi adroits que leurs fiers ancêtres numides lançaient leurs chevaux dans une course effrénée et je me suis retrouvé en pleine démonstration de Fantasia à l’occasion d’un mariage. Aux premiers cavaliers d'autres ont succédé sans intervalle avec leurs longs burnous blancs flottent au vent. Ces hommes, les uns debout sur leurs selles agrémentées de broderies d'or, les autres couchés en avant, en arrière, renversés sur les flancs des chevaux, ont une expression d'énergie exaltée, sauvage et extraordinaire. Les premiers cavaliers renouvellent leur course dans le sens inverse en lançant leurs chevaux qui partent comme des flèches, en tirant des coups de fusil, en agitant leurs armes en l'air et en les faisant tournoyer au dessus de leur tête, tout en accompagnant leur manœuvre de joyeux cris de fête.

Deux cavaliers dont le burnous relevé et serré à la taille et portant des vêtements de teintes dorées partent ensemble debout sur leurs larges étriers, tenant le fusil dans la main gauche et le brandissant au-dessus de leur tête ; lorsqu’ils ont parcouru une centaine de mètres; ils tournent brusquement dans une pirouette au galop pour se retrouver sur leurs montures à l’envers, en se servant que des jambes. Au moment où les deux cavaliers retournent, deux autres se sont détachés et ainsi de suite, successivement deux par deux tous les hommes, qui font partie de la fantasia courent et font parler la poudre, aux joyeuses acclamations des femmes assemblées derrière les haies des jardins.

Certains cavaliers et à la tonalité du tambour font cabrioler leurs étalons, richement harnachés de brocarts de soie et d’or, sur le rythme des sons et les faisait danser avec une adresse et agilités merveilleuses. Tirant leurs armes de leurs fourreaux, les lames brillantes de leurs sabres semblent jeter des éclairs sur leurs assaillants, leurs compatriotes qui ne sont que des ennemis imaginaires.

Ma présence étrangère est remarquée, on m’invite au makhzen edhiafa (maison d’hôtes) et on m’offre du yahni (terme turc qui signifie ragout) qui est un ragout de citrouille sans viande. Aussitôt ma faim rassasiée qu’on m’invite à la suite de la cérémonie. On m’accompagne dehors et toujours zokra et tabbel battant s’avance un cheval tout blanc monté par un beau jeune homme noir portant un couffin Goffet el henna contenant des produits de beauté locaux, de l’encens et des bijoux ainsi que le fameux Beskri Djerbi de soie naturelle, coloré et brodé de fil d’or et d’argent, bien fait et de belle qualité qui a nécessité un mois de tissage passionné.
Ce couffin contient aussi le fameux r'dé un drapé spécial, bariolé de différents coloris mais à dominance rouge foncé et qui sera porté par la mariée le jour de sa Jeloua. Cette procession est suivie par des femmes, toutes ou presque habillées de la même façon. Elles sont enveloppées de leurs tenues de fêtes, les mnechefs de coton blanc avec des bandelettes parfois horizontales et parfois verticales de coloration à dominante orangées.

Cette nuit, je me suis endormi paisiblement sur un matelas de laine étalé sur une Hsira, natte en halfa (alfa) dans une chambre où il n’y avait pour meuble qu’un Sandouk qui n’est autre qu’une large caisse en bois simplement décorée et qui fait office de garde robes et d’élément de rangement pour les couvertures ainsi qu’un Marfaa qui est une étagère bellement décorée menue des petits tiroirs en bas.

Le matin et après avoir fait ma toilette mon hôte m’invite dans une magsoura (petite chambre) puisque tout le houch est occupé par ses proches familiaux. Assit sur un jeld, peau de mouton, il me sert lui-même sur une mida, table basse le petit-déjeuner qui consiste en une Zamita (pate moelleuse à base d'orge grillé, de fenugrec et de différents épices) servie dans une maajna de terre cuite ainsi que des ftayers (beignets), du lben (lait fermenté) et des dattes fraiches.

Après l’avoir remercié pour son hospitalité alors qu’il insistait pour me retenir encore pour deux journées, j’ai embrassé mon hôte et j’ai continué ma route en direction de l’ouest. Après un galop d’une vingtaine de minutes j’ai remonté un petit monticule d’une cinquantaine de mètre d’élévation par rapport à la terre plate. Je suis sur le point le plus élevé de l’île : Dhahret Guellala et à ma surprise, mes yeux découvrent l'île entière, ainsi qu'une immense oasis flottante d'oliviers et de palmiers, et avec ma longue- vue il me semble discerner tout autour de moi, les minarets blancs des quatre cents mosquées de l’île.

En dessous, un petit village entouré de plusieurs bouches fumantes laissent échapper de la fumée noire. Je suis bel et bien à Guellala, le village berbère des potiers et dont le nom antique Haribus signifie vase de terre. En y descendant vers le bas j’aperçois des trous à mi-flancs des collines avoisinantes, ce sont les ouvertures d’entrée des carrières d’argile qui s’enfoncent sous terre d’abord à travers un tunnel brusquement incliné en suite par des galeries verticales.

J’arrive au niveau d’un atelier de poterie mi-enfouis sous terre avec des produits de terre cuite partout amassés dans un désordre complet. Partout des gargoulettes ; les unes aabar ou jeddiwa servant à contenir est à rafraichir de l’eau, d’autres des aabira pour renfermer de l’huile ou du smen (beurre traditionnelle à longue conservation) ainsi que divers récipients de cuisines : des dagra, des maajna, des methred et des soudhi.
Plusieurs keskes arrassi énormes, emboités l’un sur l’autre et servant à cuire le couscous avec de la vapeur s’entassent à côté de plusieurs zir d’eau d’environ 75 cm de haut. Et dans un autre endroit avec un ordre parfait, plusieurs pièces démesurées sont alignées : se sont les sefri qui servent généralement à contenir jusqu’à 200 litres d’huiles et les khabya de même volume mais qui servent à stocker les céréales, semoules et les réserves alimentaires de toute nature.

Je m’enfonce dans l’atelier à travers quelques marches pour voir l’artisan-potier en train de faire tourner avec ses pieds son touret, jarrara. Avec ses mains expertes il façonnait la pate d’argile qui prenait forme et donnait naissance à un corps de gargoulette. A droite de la porte d’entrée de cette manufacture rudimentaire se trouve le Madlak, la table de malaxage de la pâte d’argile qui alimente les besoins du tourneur et à fond se situe le galgal, la fosse de stockage de l’argile pétrie.

Dehors à quelques mètres de l’atelier des ouvriers, sous les instructions du maitre du feu, préparent les immenses fours de cuisson. Après avoir bien garni la chambre de cuisson avec les produits finis séchés à l’air libre et que la chambre de chauffe a été remplie de bois et de branchages de palmier. Le maitre du feu gère sa fournaise et sans aucun outil technologique de mesure du taux de CO2 ou du rendement de sa combustion, il arrive à réguler tous les paramètres d’une bonne combustion pour atteindre ses 1150 °C nécessaires à la parfaite cuisson.

Depuis des milliers d’année Guellala a vendu ses jarres et ses amphores vers toutes les villes qui produisent de l’huile d’olive qui sera exporté plus tard vers le bassin nord de la méditerranée et spécialement Rome. J’achète une gargoulette que je remplis d’eau ; il sera rafraîchit par sa propre évaporation à travers la matière poreuse et me désaltéra avec douceur lors des après-midi torrides de ma virée.

Je chevauche ma monture de robe noire luisante et je me pointe vers la côte ouest de l’île. Après une cavalcade de deux heures j’atteins la mer et le fameux village des pêcheurs Ajim. Je m’embraque sur une espèce de felouque identique à celles qui naviguent encore sur le fleuve du Nil est qui est composée d’une vergue longue et mince, croisant le mât au milieu en oblique. C’est un kamakis et il est gouverné par des pêcheurs d’éponges grecs qui étaient en escale de réapprovisionnement sur le port d’Ajim. Avec dextérité, ils vont manier ces voiles latines qui leurs permettent de remonter le vent plus aisément et retourner à leur port d’attache en contre courant.

A peine qu’on a pris le large que les grecs on jeté dans l’eau la gangava qui est un cadre en bois et en fer sur lequel s'envergue un gros filet que l'on traine au fond de la mer et en faisant dévier le bateau, on déchire les éponges et les rassemble dans le filet. Dès que le filet se remplit d’éponges, le bateau ne peut plus avancer et le filet est retiré hors de l’eau par la force des bras des marins et on y retrouve des éponges et même de grands poissons et parfois des poulpes.

Pas loin, on rencontre d’autres pêcheurs, arabes et siciliens qui ont jeté l’ancre dans une zone où les meilleures éponges y poussent et qu’il on pu localiser à vu d’œil. S'il y a une légère vague, il est impossible de voir à travers l'eau et les marins déversent quelques gouttes d’huile à fin de mieux voir le fond ; plus tard, avec le progrès, ils utiliseront un cylindre métallique creux avec un verre dans l’une de ses extrémités.

Pour attraper les éponges ils utilisent plutôt un trident à l’extrémité d'une perche, qui a parfois cinq mètres de long. Le pêcheur lance son trident droit vers les champs marin, et avec une légère torsion il déracine l’éponge et la retire vers le haut.

Les Djerabas préfèrent plutôt la pêche des éponges par la plongée sous-marine dans des profondeurs de quatre à cinq mètres et certains experts vont dans des profondeurs allant jusqu’à vingt mètres. Chaque plongeur est menu d’un couteau pour se défendre contre requins et il arrache les éponges qu’il met dans un filet attaché à sa taille.

Lorsqu'on les tire de l'eau, les éponges sont couvertes d’un film fin et transparent, et c'est bien amusant et curieux de voir cet être vivant en mouvement hors de l’eau. Plus tard, les éponges seront enfouis dans du fumier, ou sous le sol pendant des jours, afin d’exterminer tous les micro-organismes qui y sont enfermés. Ensuite ils seront lavés pour leur dégager toute impureté et éliminer leurs odeurs infectes. Bien nettoyés, légèrement jaunes et bien spongieux, ils seront mis à la vente et surtout exportés.

Mes amis grecs m’ont déposé sur le rivage d’un village de pêcheurs juste à côté du phare de Jilij. En face du continent, alors que le soleil disparaissait derrière l’horizon, l’éclat éblouissant se tamisait et se dégradait avec des nuances teintées, des spectres iridescents, des lueurs extraordinaires qui laisse échapper une exclamation inconsciente : Mon que c'est beau!

Je me suis caché dans une barque qui semble être abandonnée et cette nuit, l'obscurité a régné, profonde et impénétrable et le silence muet m’a tenu compagnie dans mon isolement préféré. Tôt le matin, mon sommeil fut rompu par les cris des pêcheurs de poulpe qui s’apprêtent à appareiller vers la généreuse mer.
Alors qu’un marin chantait mélodieusement son amour pour sa femme qu’il a quitté, d’autres remplissaient leurs barques avec une énorme quantité de gargoulettes ouvertes des deux extrémités. Je me joins pour les aider et après avoir chargé le loude avec environ deux cent jarres de terre cuite, je me suis embarqué avec ses pêcheurs.

J’ai remis la mdhalla (chapeau fait avec les feuilles de palmiers finement découpés) sur ma tête, et j’essaye de me rendormir mais mon esprit vogue ailleurs sur l’histoire d’amour que je porte dans mon cœur pour cette île. Par les flots lénifiants et indolents, je me laisse tanguer sur le dos de l’embarcation au souvenir d’une sirène.

Je me réveille par des ploufs, un marin a commencé à jeter ses gargoulettes reliées par un long cordage dans un espacement régulier. Dans des profondeurs variant de deux à cinq mètres, les jarres de terre cuite se déposent sur le fond sableux. En rencontrant ses refuges attrayants, les poulpes entre dans les jarres et y élisent domicile.


Par la suite, le raïs est parti vers une autre zone dans l’eau et il retira un cordon flottant à l’aide d’un morceau de liège. Inversement à l’acte précédant, le marin commence à retirer le cordag
e qui faisait sortir régulièrement de la mer des gargoulettes, certaines sont vides mais la plupart contiennent un poulpe vivant agrippé au fond. Avec un piquant, il provoque la sortie du céphalopode et avec agilité, il le met dans un caisson en bois de palmier tout en jetant de nouveau les jarres dans l’eau. Ce jour là, la pêche a été fructueuse, les poulpes seront séchés au soleil et vendu pour des marchands venus du continent ou acheminés par la caravane de Djerba au marché des Djerbiens à Tunis.

Rentré vers midi à la terre ferme, j’ai rebroussé chemin vers Aghir ou je passais mon congédiement de ce monde funeste. Je suis retourné sur "un vaisseau du Sahara", un chameau empruntant les pas des dix milles soldats du Général Ben Khodeidj qui avec son armée de guerriers de la tribu des Koraïchites s’empara de Djerba en 666.

Je passe par Mellita, nom d’origine punique signifiant "refuge" et qui désigne un pareil village qui se situe sur l’île voisine de kerkennah, se trouvant à quatre-vingt-dix kilomètres à vol d’oiseau. Mellita qui abrite Djemaa el Kébir, le plus ancien lieu de culte musulman de l’île est habité par l’une des plus anciennes communautés kharijite : les Ibadites dont les fondements remontent au IXème siècle. A la fin du Xème siècle, Fadhel Abou Messouer transforme la grande mosquée de Djerba en un important centre d’études ibadites et crée le principe du conseil religieux Halqa qui consiste à ce que chaque communauté géographique élise parmi ses membres les plus pieux un conseil religieux formé de douze clercs ou Azzaba dirigés par un Cheikh.

Je poursuis ma route en direction du sud en passant par El May et au niveau du village de Robbana, lors du coucher du soleil, je me suis reposé sous un olivier centenaire en face de ruines inconnues. Soudain, m’est apparue une femme ou une fée, je ne peux pas le distinguer !. D’une beauté indescriptible, tout en me regardant elle peignait ses cheveux noirs et longs en me chantant une agréable mélodie et je suis maintenant convaincu que les sirènes peuvent vivre sur terre aussi.

Ses yeux de couleurs indéfinis défendus par de longs cils disent trop sur sa nature féline. Son corps, ses bras et ses jambes à travers la robe de mousseline qu’elle portait révélaient un modèle de statuaire antique, pareil à celui qu’on voit sculpté dans les musées, parfait, sans erreur de la part de l’artiste créateur. Sa taille élancée et cambrée sur des hanches d'une riche ampleur, achevait de lui donner l'aspect d'une jeune prêtresse ou d’une vierge bacchante … elle m’appela par mon nom et vers elle je suis parti … sur l’île, je suis resté et chez moi je ne suis plus revenu sans avoir même mangé le lotos savoureux et exquis.

Attention pour ne pas tomber sous le charme de l’île … ou de ses femmes ! et de surtout croire à cette légende Djerbienne, de la belle femme qui apparait auprès des ruines du hammam et qui ensorcelle les hommes, les fait disparaitre pour plusieurs jours et les libère. Ils reviennent plus tard sur terre, sans se souvenir de rien … le périple d’Ulysse par Djerba devrait être réel pour du vrai.

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