S’était en Décembre 1996, que je l’ai rencontré à la ZI de la Charguia, Je me suis arrêté à une Barréka (kiosque) pour acheter une bouteille d’eau minérale, un grand garçon noir s’est approché de moi et ma demandé gentiment en français si je pouvais lui trouver un travail.
J’ai été surpris de sa jeunesse, il avait à peine 19 ans. Je l’ai pris avec moi en voiture et j’ai commencé à écouter son histoire.
Il s’appelait Ibrahima, il était Sénégalais et il est venu en Tunisie pour étudier la Théologie seulement il est arrivé en retard et il n’a pas pu faire son inscription.
Un de ses enseignants lui a arrangé son voyage (uniquement un billet d’avion en aller) en contrepartie d’une commission et lui a assuré qu’il sera inscrit et logé par l’ONOU (Office National des Œuvres Universitaires), seulement en ratant l’inscription, il a raté le foyer universitaire est il s’est retrouvé dans la rue sans argent.
Ibrahima logeait chez des compatriotes Sénégalais mais trouvait des difficultés pour assurer sa nourriture dans l’attente de la prochaine année scolaire.
Son histoire me toucha profondément, je l’ai dépanné financièrement momentanément et je lui ai donné mes coordonnés tout en lui demandant de me contacter chaque dimanche matin chez moi. Ainsi, je l’ai pris en charge au niveau de sa nourriture et ce n’était pas vraiment une dépense importante.
En Mai 1997, j’ai fini de convaincre mon patron pour l’ouverture d’un bureau d’attache commercial au Bardo. Nous avons loué le rez-de-chaussée d’une grande villa et j’ai profité de l’occasion pour donner une chambre à Ibrahima et lui allouer toute la cuisine (chose qui mécontenta les 3 employés du bureau).
Ibrahima était très content d’avoir une chambre, une salle de bain, une cuisine et même une entrée indépendante à travers la cuisine tout en gérant la bourse hebdomadaire que je lui ai octroyée. Il aida parfois au bureau mais s’était insignifiant.
Ibrahima mon fils adoptif, venait régulièrement manger chez moi et m’aider volontairement aux travaux de jardinage. Petit à petit, toute la famille s’habitua à lui et fini par l’adopter. Ainsi il était régulièrement invité à la table de ma mère ou de ma sœur qui lui glissaient quelques dinars dans sa poche pour l’aider.
Comme un membre de la famille, il était aussi parmi nous pendant toute les fêtes, de l’Aîd el Kébir au Aîd Séghir en passant par les anniversaires.
Septembre 1997 est arrivé et Ibrahima rejoignit l’Université de la Zitouna pour une scolarité en Théologie qui lui permettrait de devenir maitre d’école.
J’ai essayé de ne lui rien faire manquer, même dans ses vêtements et je faisais le paternel en essayant de suivre ses examens. Il réussit cette première année ainsi que la seconde et j’étais fier de constater ses bulletins de notes et son attestation de réussite.
Pendant la troisième année, Ibrahima fut touché par la nouvelle du décès de son grand frère. Chauffeur d’un grand camion il a été victime d’un accident routier. Je voyais sa tristesse pendant des mois, il ne parlait plus beaucoup et souriait peu. J’ai essayé de tout mon possible de lui remonter la morale mais j’ai remarqué comme un changement définitif dans son comportement. Il n’est plus très gai.
Ibrahima a commencé à s’absenter de sa loge et me disait qu’il allait chez des amis, chose que je trouvais très ordinaire, il m’a même présenté une fois sa copine une blanche neige Suisse qui étudiait à Bourguiba School et qui ferait mille jaloux à son cavalier.
Les employés du bureau m’on dit aussi (puisque je ne suis pas rattaché à temps complet à ce bureau) qu’Ibrahima n’allait plus fréquemment à son université ou qu’il y allait tard, je n’ai pas donné d’importance, il était assez grand pour s’assumer tout seul.
En fin d’année scolaire Ibrahima m’a dit qu’il a réussi, je l’ai félicité comme d’habitude tout en étant moi-même très content de voir mon fils adoptif progresser dans son cursus.
A peine un mois après le début de sa dernière année scolaire et en rentrant à la maison, j’ai trouvé ma femme furieuse et très fâchée. En constatant qu’Ibrahima s’absentait beaucoup, elle l’a coincé et à force de le questionner, il a avoué qu’il n’a pas réussi sa 3ème année scolaire et qu’il sortait chaque jour pour aller chercher du travail.
J’étais presque choqué, je ne m’attendais pas à ça. Autant que ma femme parlait de sa trahison pour la confiance qu’on lui a accordé autant que j’essayai de lui trouver des excuses tout en pensant à ses 3 années d’études perdues, à son rêve brisé et à son futur écroulé sans son diplôme en poche. J’étais moralement très touché et j’avais le sentiment que mon propre fils a raté son avenir.
Plus tard, Ibrahima ne trouva aucune excuse valable pour justifier son double mensonge. Il a raté son examen et il ne pouvait pas m’expliquer pourquoi.
Encore une fois et en raison de l’amour que je lui portais, je me suis mis à sa place et j’ai commencé à énumérer, dans mon intérieur, toutes les raisons possibles qui ont facilité cet échec. Son éloignement de sa famille et l’impossibilité de les remplacer quelque soit l’affection familiale que j’ai essayé de lui donner. La perte de son frère qu’il ne verra jamais. La solitude de se sentir tout seul chaque soir et peut être aussi le manque d’intégration dans son école (pourquoi une amie Suisse et non pas Tunisienne ou Tunisien).
Qu’a-t-il cherché par le fait de nous cacher la vérité ?, s’était inutile de lui poser la question et de l’agresser moralement même s’il avait tort.
A travers Ibrahima, j’ai découvert une face cachée de ma personnalité, une faiblesse peut être, celle d’avoir des sentiments beaucoup plus profonds que je le pensais ainsi que la capacité de pardonner, moi, qui ne suis pas très apprécié au niveau travail par mon agressivité verbale, ma rigidité, mon insensibilité et ma recherche de la petite bête dans tout travail accompli.
J’ai couvé Ibrahima encore pour quelques années, il a travaillé un peu par si, un peu par la, jusqu’à ce qu’il a décidé de rentrer chez lui.
Il est partit depuis deux ans au Sénégal, on se téléphone de temps à autre. Il est resté quelque temps au chômage et dernièrement il vient de décrocher un travail. Je suis sûr qu’il reviendra en Tunisie.
Je l’aime bien Ibrahima, mon fils adoptif qui est de 10 ans mon cadet.
Le capitalisme est-il mauvais pour la santé ?
Il y a 7 mois
25 commentaires:
tu n'arrête pas de me surprendre, à chaque fois
merci d'avoir partagé avec nous cette partie de ta vie, qui est en même temps une leçon pour nous (en tout cas, moi je la voit ainsi)
inchallah rabbi m3ak ou m3ah
très joli
très humain
et sincère
Bravo
Téméraire le râleur au grand coeur :)ta gentillesse t'honore et ce fils adoptif même s'il a échoué son cursus, se souviendra toujours de toi et de ta famille.
Je comprends votre déception à tous et la colère de ta femme devant son mensonge mais je ne pense pas qu'il s'agisse de trahison. Peut être justement n'a t'il pas eu le courage d'affronter la déception dans les yeux de ceux qui ont tant cru en lui...
Le chagrin fait souvent se renfermer les gens sur eux-même et les bloque dans une douleur dont ils ont du mal à se défaire (moi la première)
Un ptit clin d'oeil ensoleillé et plein de gentillesse du coté de la ruche... :)
J'ai toujours remarqué que Dieu plaçait les necessiteux sur le chemin des âmes charitables .
la chaire de poule carrément...
CE N'EST PAS une action SURPRENANTe VENANT DE TOI TEMERAIRE
BRAVO
je t'admire mon ami, rabbi ykather minnek innas amine
hé bien quoi dire, ça reflète une grande générosité et ...
bravo!
aina lorsk'il me demanda de me donner un travail , je lui dis :non je ne peux pas , et c'est la vérité..bon il faut dire je ne fait pas d'effort ..
et toufa la7kaya ghadi lool.
19 ans jeune !!!!...mella 7kaya ...aina à 19 ans ..EL moubi9ate essab3a 3malt8om..:P
sinon téméraire , en toute franchise , je pense 3andek une disfonctionnement kelke part.. mais c pas grave , disons haja option...:d
bon ce ki est d'ebrahima , yaikhi 3laich mai 3awedch el 3ame, wetelhite bihe bel gudai..
sinon fi touness ns sommes trop raciste..peut etre c pour ca dkhal ba3dhou..et el haja elli tdha7ek akther hia ke les noir ettwensa mte3na sont raciste contre les noir elli jayine mel l'afrique subsaharienne..loool
Superbe histoire, très touchant et très généreux ce que tu as fait.
Je crois qu'à force de lire tes posts je finirai par te reconnaitre si je te croise dans la rue. :)
No comment, un nouveau coté de la personalité de TMR se dévoile.
Parfois on s'attache à des personnes rien que pour avoir passé une semaine dans un hotel, ou 15 jours de voyage, alors que dire pour de bonnes années.
Quel le bonheur vous reunit de nouveau
@Tous :
Vos réactions et vos commentaires m'ont surpris. Je ne m’attendais pas à ces éloges qui m’ont réchauffé le cœur. Mon comportement est très Naturel est chacun de vous selon ses moyens à surement fait pareil d’une façon ou d’une autre.
En lisant le commentaire de Trainspotting dans la note INCIDENT RACISTE entre la BAD et LCE !! d’Ad Honores, j’ai été choqué par le fait qu’elle accusait les Tunisiens de la classe moyenne de racisme. Elle a peut être raison.
J’ai commencé à préparer une note sur le racisme en Tunisie tout en me souvenant de Matar (Mokhtar, un ami sénégalais qui a étudié avec moi à l’Enit), de Louise une amie Togolaise, de Joma un Kenyan qui travaille en Tunisie et de Colette une perle Noire Réunionnaise avec laquelle j’ai fait de la correspondance pendant 8 ans et enfin d’Ibrahima pour lequel j’ai écrit cette note.
Je n'ai rien de spécial, je ressemble à la plupart d'entre vous. J'avais la possibilité d'aider et je l'ai fait avec un grand plaisir.
@Farfar : Il est arrivé que plusieurs personne m’ont demandé du boulot et je n’ai pas répondu, après tout je ne suis pas une agence d’emploi :).
Il y avait quelque chose de spécial qui m’a attiré à Ibrahima, ce jeune de 19 ans qui débarquait carrément d’un petit village de la savane africaine et même pas d’une grande ville.
Pour ce qui est dysfonctionnement, saha ennoum, tawa fikl (c’est maintenant que tu t’es rendu compte),
Ma femme s’est rendue compte de la situation un mois après l’année scolaire et il n’était plus possible de faire l’inscription. Par la suite, Il était question qu’il allait rentrer à son pays pour travailler et aider sa famille, et il a trainé ici dans le sens ou il n’a pas trouvé un travail bien rémunérant pour rentrer avec un peu d’argent.
bravo amigo!
on t'attend ce soir à CArthage:
http://rachedelgreco.blogspirit.com/archive/2007/06/20/invitation-à-beit-el-hekma-carthage.html
, Pour ce qui est dysfonctionnement, saha ennoum, tawa fikl (c’est maintenant que tu t’es rendu compte),
yai temeraire, tawa tfassarli fel klem bel 3arbi bessouri , ritni jey messuede , je veux dire de la suede :p lol
esma3 kallemhoulna, ken thamma 3esfoure naider ikawer fessinegal, contacte moi..ama k'il soit vraiment rare..
@Farfar:
Il ya des lecteurs qui ne comprennent pas l'arabe, donc c'est pour eux que je traduit :).
Bon je vais téléphoner à Ibrahima pour l'oiseau rare mais j'ai peur de la contrefaçon.
أعمل الخير و إنساه.
Y a t il une morale à cette histoire...romanesque ?
"Oh Zitouna pourquoi t'es tu rapprochée de l'oued ?" Air connu. A mon avis il y a une relation entre cet échec et le fait que les études se soient déroulées à la Zitouna... car il ne faut pas oublier qu'elle s'est rapprochée de l'oued. A l'école normale ce serait passé différemment...pour sûr !
@citizen: On ne le connait pas, il est anonyme donc qu'il en parle ou pas cela ne change rien .Faut bien meubler le blog en attendant de faire quelque chose de plus consistant .
Je pense qu'il y a beaucoup de chose dont on ne parlerai pas s'il on était pas anonyme .
@ x : je ne vois pas franchement de quoi (ou de qui) tu parles.
@ citizen: pas grave, c'est juste une faute d'interprétation de ma part .
"A mon avis il y a une relation entre cet échec et le fait que les études se soient déroulées à la Zitouna... "
S'il ne s'était interessé qu'a ces études au lieu de viser la suisse par l'intermédiaire de son amie blanche neige, les choses se seraient peut-être déroulées différemments .
@Citizen : On a bien été un jour aidé par une personne qu’on ne connaissait pas pour des raisons qui nous sont restées méconnues.
@MALI :
J’ai expliqué dans mon précédent commentaire pourquoi j’ai raconté cette histoire.
La morale, je l’ai tirée moi-même : On découvre parfois en nous-mêmes des faces cachées de notre personnalité qu’on a jamais mis en pratique : Le Pardon, la Tendresse, l’amour de l’autres sans raisons uniquement parce qu’il est humain.
@MALI :
La Zitouna (noire), c’est approché de la Zitouna et il y avait incompatibilité de mœurs peut être bien (rire)
@x : Je n’aurais pas pu raconter ces petites histoires si justement je n’étais pas anonyme.
Je pense que tu as bien compris le commentaire de Citizen.
J'ai fait le parcours de votre blog que je trouve fort intéressant. Et c'est bien dommage que vous le mettiez en veille ces derniers jours. Plusieurs notes m'ont attiré l'attention, mais je commence par réagir à celle-ci.
De part que c'est touchant comme récit, c'est cette remise en question et cette capacité de pardonner qui m'ont attiré l'attention!
La moralité que j'en ai tiré: C'est saint de se poser des questions meme dans les situations les plus "irréprochables"... ça avance, ça construit...et l'amour "paternel" est "unique" et si tolérant! je comprend mieux comment que les parents pardonnent presque tous.
Enregistrer un commentaire