lundi 9 juillet 2007

Luxenberg, perdu entre l'Arabe et le Syriaque (4ème Partie)


6. Le Syriaque aux premiers siècles islamiques :

Mingana et Luxenberg ont prétendu que puisque Mohamed (saws) (ou les premiers scribes ?) a puisé dans le Syriaque qui a fourni les exemplaires littéraires dont , la grammaire et le vocabulaire Syriaques devraient être employés pour interpréter le Coran. Ceci vient de leur hypothèse, affirmée ouvertement ou tacitement, que le Syriaque contrairement à l'Arabe était plus ancien et par conséquent avait stabilisé son orthographe, sa lexicographie et son grammaire. Selon Mingana :

« Car comme nous croyons que le Coran est le premier livre arabe, son auteur a dû faire face à d'immenses difficultés. Il a dû adapter de nouveaux mots et de nouvelles expressions pour des idées originales, dans une langue qui n'a pas encore été fixée par aucune grammaire ou lexicographie… ainsi l'auteur du Coran a montré des idiosyncrasies stylistiques qui ont marqué son travail comme étant légèrement différent de l'arabe classique connu de nous à partir du huitième siècle ; son style souffre des incapacités qui caractérisent toujours une première tentative dans une nouvelle langue littéraire qui est sous l'influence d'une littérature plus ancienne et plus fixe. Cette littérature plus ancienne et plus fixe est, selon notre jugement, assurément le Syriaque plus que tout autre » (83).

Il est vrai que le Coran présente certaines caractéristiques stylistiques non déjà vues dans la poésie préislamique. Cependant, réclamer que cela est différent de l'Arabe classique du huitième siècle est problématique.

D'autre part, "l’Aramäische-arabische Mischsprache" de Luxenberg est un concept mal défini et ceci lui a donné une excuse pour prétendre que ni les règles normales de l'Arabe, ni celle de l'Araméen ne s'appliquent à certains passages particuliers du texte Coranique. Ceci le libère pour faire des conjectures à volonté au sujet de la signification de certains passages particuliers dans le Coran, quoique que ces suggestions doivent être rejetées comme non grammaticales.

L'hypothèse d'un "Aramäische-arabische Mischsprache" ou "Mélange de Langue" semble être beaucoup plus une excuse commode pour l'interprétation autoritaire du texte Coranique.
Comme on peut le constater, cette hypothèse mène à plusieurs problèmes, historiques et linguistiques, plus qu'elle prétend en résoudre.

Pareil à Mingana, un des plus grands inconvénients de l'hypothèse de Luxenberg est son incapacité à expliquer les origines de l'Arabe classique. Si nous restons dans les limites du milieu Nabatéen, l'existence préislamique de l'Arabe classique est facilement documentable en utilisant l'inscription bien-étudiée de Namarah.

L'Arabe classique a pris naissance bien avant la période islamique. L'inscription de Namarah (daté 328) est l'une des inscriptions les plus anciennes jusqu'ici découvertes dans la langue arabe classique et elle est écrite en manuscrit Nabatéen. Bellamy, qui avait étudié cette inscription, conclut en disant :

« ... nous avons ajouté un siècle demi à la vie de l'Arabe classique. Ceci devrait venir sans aucune surprise puisque le conservatisme de la langue arabe est bien connue » (84).

L'inscription ‘En ‘Avdat (datée 125), bien que plus ancienne que l'inscription de Namarah a été apparemment écrite en Arabe classique. En outre, les deux inscriptions Arabes préislamiques de Jabal Ramm (IVème siècle) et d'Umm Al-Jimal (Vème/VIème siècle) ont une grammaire issue directement de l'arabe classique. La langue de ces inscriptions est plus proche de l'Arabe moderne que la langue de Shakespeare est à l'Anglais moderne (85). Ce qui peut être conclu est que cet Arabe classique prend ses origines même avant le deuxième siècle et est resté fixe avant même l'arrivée de l'Islam.

Ce n’est pas parce qu'une certaine langue est plus ancienne, qu’elle nous mène automatiquement à la conclusion que son orthographe, sa lexicographie et son grammaire étaient « fixes » à moins qu'il y ait de fermes évidences. Cela vaut pour le Syriaque comme nous allons voir.

5.1 L’Orthographe et la Grammaire Syriaque

Le premier traitement systématique de l'orthographe et de la grammaire Syriaque a été fait par Jacob d'Edesse (décédé 708). Son travail est connu seulement par une brève mention de la part de Bar Hebraeus et par quelques fragments découverts à Oxford et à Londres (86).

On peut lire dans le premier fragment que Jacob a été invité par un correspondant à inventer des lettres voyelle pour le Syriaque. Il répond que d'autres avaient déjà considéré la même chose. Il annonce aussi, qu’un grammairien grec avait déclaré que l'alphabet grec, à un certain moment, était composé de dix-sept lettres uniquement ; il avait été graduellement augmenté à vingt-quatre avec l'introduction des voyelles. Mais le désir de faire pareil pour le Syriaque avait été empêchée par la crainte de « détruire toutes les Ecritures Saintes qui avait été écrites jusqu’à cette période dans cette imparfaite écriture de la langue Syriaque ».

Déchiré entre le souhait de répondre à la demande de son ami et les précautions de ses prédécesseurs, Jacob a recouru à un compromis. Il a inventé des voyelles à écrire sur la ligne, comme les lettres de l'alphabet. Mais elles devaient être appliquées seulement en ce traité pour illustrer les formes morphologiques dans le Syriaque ; elles ne sont pas prévues pour être un dispositif permanent de la langue.

Jacob a décidé que les voyelles doivent être ajoutées pour illustrer seulement le sens et l'arrangement de ces règles morphologiques, de sorte qu'elles démontrent la variation et la prononciation des bruits. Elles ne sont pas ajoutées afin de perfectionner ou améliorer l’écriture.

Jacob s’étend sur l'insuffisance du système d'écriture, déclarant que le Syriaque peut être lu correctement seulement par l'estimation ou en apprenant l'énonciation traditionnelle ou après étude laborieuse (87) Il dit :

« Et, comme j'ai déjà dit, on ne peut rien lire correctement sans ces trois choses qui ont été déjà mentionnées (non plus, je répète, par estimation) dans le précité travail en raison de la convenance (au passage) et du sens requis par la lecture du contexte dans lequel il se produit ; ou de la part de la tradition transmise par d'autres qui étaient bien connus dans le passé avec ce contexte et ses différentes lectures et qui pouvaient prononcer correctement ses sons et les avaient transmis (cette capacité) à d'autres (pas à cause de la précision en lisant les lettres, pour les lettres sans aucune précision, mais parce qu'elles ont reçu elles-mêmes la tradition à partir d'autres) ; ou par la force d’un grand travail puisque on y passe rapidement et, comme si , on survolait en récitant ces passages, avec les diverses marques des points aidant et indiquant les diverses significations, de sorte que ceux qui reçoivent la (méthode de lecture) traditionnelle ne comprennent pas (la lecture) du passage à partir des lettres mais de l'énonciation des sons par les lèvres de la personne transmettant la tradition » (88).

Dans sa fameuse lettre à George de Sarug, Jacob reproche aux copistes de son temps leur ignorance et inattention :

« J'interdis à tout ceux, qui peuvent copier les livres, que j'ai traduits ou composés, de changer par leur propre initiative n’importe quoi de ce qu'elles se sont engagées à copier, aussi bien en écriture qu’en points, quoi qu'elles peuvent trouver ; si même une erreur manifeste a été trouvée, toute personne est soumise à l’erreur, nous-mêmes, les scribes, ceux qui ont reçu le livre de notre part, ceux qui comparent une copie à une autre copie, l'œil du lecteur qui erre et dévie de la vision correcte….

Egalement, en ce qui concerne la position des points, chaque personne prend l'autorité de les placer à sa guise … ce qui n'est autre que déformation, aversion et laideur qu'un corps normal et vivant devrait être privé de ces membres qui lui ont été donnés par la nature…. Encore il y a quelque chose d’absurde et laid quand le visage ou la tête d'un homme s'avère être pourvu de trois oreilles ou de trois yeux ou de n'importe quel autre membre superflu…. Mais c'est la beauté de la nature qui ne contient ni profusion, ni défaut. Chaqu’un des membres devrait être convenable pour l'endroit, qui lui a été préparé et rendu commode par la nature….

De la même façon, il peut être considéré avec respect au placement des points, qui sont distincts et explicatifs des diverses choses qui sont placées dans ce Mésopotamien, Edessen, ou, pour parler plus distinctement, livre Syriaque ; pas dans l'abondance ou la profusion, ni où un membre n'a aucun besoin d'être distingué d'un autre qui est semblable à lui dans les lettres, il est correct que les points devraient être placés ; ils ne doivent pas être épais, comme deux mains et les pieds dans chacun desquels il y a six doigts. Ils ne doivent pas être déficients ou moins que la partie par laquelle un membre peut, si possible, être distingué des autres, qui est comme lui ; parce que cela est pareil à la profusion, qui a été observée, ne convient pas, également l’insuffisance ne convient pas. Il est exact qu'elles soient également mises en place, qui sont commodes pour eux, et non pas là où il y a un emplacement vide, qu'il soit approprié ou peu convenable
» (89). (PS du traducteur : même le texte anglais est ambigu)

En effet, il remarque (90) :

« Tout l’ouest (Syriens) et autres qui vivent dans d'autres régions, ne parlent pas même cette langue d'Edesse correctement, puisqu'ils ne comprennent pas le principe »

Laquelle régit le système d’écriture.

« Même une partie des Edessens, ceux qui parlent cette langue Mésopotamienne (la plupart) correctement, ne peuvent pas lire correctement non seulement ces sons étrangers à partir de leur propre langue qu'ils emploient mais même ses sons indigènes (natifs) ».

Certainement, continue Jacob, ils ne pourraient pas prononcer ou lire des mots adoptés au Syriaque à partir de l'Hébreu, du Grec, du Byzantin ou du Persan. Cela devait être du au manque de lettres pour représenter tous les sons utilisés.

Dans la mesure où l'orthographe du Syriaque après l’avènement de l'Islam soit concernée, les correspondances de Jacob d'Edesse nous donnent suffisamment de preuves sur son état de faiblesse, tout en mentionnant l’usage et la compréhension incorrectes de cette langue.
L’écriture Syriaque à l’époque de Jacob et après l'arrivée de l'Islam était clairement "scriptio defectiva" (écriture défective) par opposition aux suppositions de Mingana et de Luxenberg qu'elle était "scriptio plena" (c’est-à-dire une écriture comportant tous les signes nécessaires pour une lecture fidèle).

Maintenant, si les Araméens n'étaient pas capables de lire et d’écrire leur propre langue correctement même après l'arrivée de l'Islam, comment pouvons-nous savoir que ce qu'ils ont vraisemblablement écrit (ou a été écrit), qui est finalement devenu le « Coran », était en effet ce qu'ils ont voulu dire réellement ?

Pour ce qui est des premières étapes (phases de développement) de la grammaire Syriaque, les informations la concernant sont rares. La plupart de ce que nous connaissons à propos de la terminologie des premiers grammairiens en Syriaque (par exemple, Jacob d'Edesse) nous sont parvenus à travers des rapports d’auteurs plus récents, tels que Bar Hebraeus (décédé 1286), et il est probable que leur terminologie reflète l'influence arabe plutôt qu'un développement véritablement indigène. Versteegh indique :

« Malheureusement, nous ne connaissons pas très bien les premières tentatives des Syriens dans la grammaire et la lecture, aux VIème et VIIème siècle. La plupart de ce que nous savons dérive des écritures Syriaques postérieures, qui étaient, cependant, composées à un moment où la tradition Syriaque avait subi l'influence de la grammaire arabe, et avaient succédés en grande partie aux mécanismes conceptuels et terminologiques de cette tradition (Arabe). Au fait, la terminologie grammaticale Syriaque et Hébraïque, comme nous le savons, sont un calque de la terminologie Arabe » (91).

Malheureusement pour Mingana et Luxenberg, leurs hypothèses qui stipulent que l’orthographe et la grammaire Syriaques ont influencés l’Arabe sont tombées dans l’eau.

Maintenant tournons notre attention à la lexicographie Syriaque.

5.2 La lexicographie Syriaque

Hunain Ibn Ishaq (décédé 873) a composé le premier dictionnaire approprié Syriaque basé sur l'ordre alphabétique. Il a créé les bases de la lexicographie Syriaque (92).

À la fin du IXème siècle, Zacharie de Merv (identifié à Abou Yahya al-Marwazi) l'a complétée en ajoutant d'autres entrées, mais c'était un travail confus. Isho Bar Ali (ou Issa Ibn Ali, en Arabe), l'élève de Hunain, a écrit un nouveau dictionnaire basé sur celui de son maitre et qui est encore disponible dans les librairies (93). Dans ce dictionnaire, les mots Syriaques sont suivis de leurs équivalents ou de leurs définitions en Arabe. Parfois, d'autres explications en Syriaques sont ajoutées.

Le plus complet et le plus célèbre dictionnaire Syriaque était celui d’Hassan Bar Bahloul (Xéme siècle) (94). Il peut être décrit comme une sorte d'encyclopédie et aussi un lexicographe Arabo-syriaque avec l’utilisation parallèle du Syriaque et de l’Arabe pour l'explication d'un mot. Comme dans beaucoup de lexicographies Arabes, les auteurs sont mentionnés pour les mots ajoutés.

Quant à Mingana et Luxenberg, leur hypothèse est fondée sur la supposition que les Araméens ont été bien avancés dans leur lexicographie tandis que les Arabes peinaient à comprendre leur propre langue et particulièrement le Coran. Nous savons que ce n'est pas vrai. Le premier dictionnaire Syriaque est bien paru après l'arrivée du premier dictionnaire Arabe d'Al-Khalil Ibn Ahmed (c.-à-d., Kitab Al-`Ayn) entre autres (Fig 5) (95).

Le schéma 5 : Un diagramme chronologique de la lexicographie arabe selon le type d'arrangement du dictionnaire utilisé.

Avant que Hunain ait composé son premier dictionnaire, il y avait déjà une activité lexicographique intense parmi les Arabes. Ce qui est bien plus intéressant est que les dictionnaires Syriaques d’Isho Bar Ali et d’Hassan Bar Bahloul emploient l'Arabe pour expliquer des équivalents et des définitions comme indiqué dans Fig. 6.

Fig 6 : (a) Le lexicographe d’Isho Bar Ali montrant la signification des mots Syriaques en Arabe et (b) le lexicographe de Bar Bahloul montrant les définitions des mots en Syriaque et en Arabe (96).


Même en prenant en compte qu'avec la montée de l'Islam l'utilisation du Syriaque s’est éclipsée au Moyen-Orient, il est étonnant de constater que des Araméens eurent employé l'Arabe pour expliquer les significations des mots dans leurs lexiques.

Si la supposition tacite de Luxenberg de la supériorité de la lexicographie Syriaque était en effet correcte, nous nous attendrions à ce que les Araméens emploient le Syriaque pour expliquer leurs propres mots. Au contraire, nous constatons que Isho Bar Ali et Bar Bahloul se sont servis intensivement de l'Arabe pour expliquer les mots Syriaques.

Tout ceci suggère qu’avant l’arrivée de Hunain Ibn Ishaq, la lexicographie Arabe était déjà bien développée et bien plus sophistiquée que la lexicographie Syriaque. Comme exprimé ironiquement par Renan « la caractéristique littéraire principale du Syriaque est la médiocrité, et la principale revendication de renommée des Syriens est qu'ils ont passé le savoir des Grecs aux Arabes »(97). Haywood précise cela :

« Ainsi nous voyons dans les signes de la lexicographie Syriaque de l'emprunt aux Arabes, quoiqu'il y ait peu d'évidence d'imitation directe. Comme dans l'Hébreu, la grammaire et la terminologie grammaticale montrent une semblable influence » (98).

Pour montrer la lecture Syro-Araméenne alléguée du Coran, il étonnant que Luxenberg emploie les lexiques de Payne Smith et Brockelmann, qui est principalement basé sur les lexiques d'Isho Bar Ali et de Bar Bahloul (99). Les deux derniers ont été compilés plus de 250 ans après l'arrivée de l'Islam et environ 100 ans après la production du premier lexique arabe.

7. Conclusions

Pendant les trente dernières années ou plus, beaucoup de théories révisionnistes ont été proposées pour expliquer la naissance du Coran et de l’Islam. Selon ces diverses écoles de pensée révisionniste, l'Islam était à l'origine une section juive (Hagarisme) ; le Coran était contemporain de la Sira (Wansbrough) ; L'Islam a surgi dans le désert du Néguev validant d’une façon ou d'une autre l'hypothèse de Wansbrough (Nevo) ; le Coran est venu après la Sira et le Hadith (Rubin) ; le Coran était une production Irakienne créée avant la Sira (Hawting) et, récemment, le Coran est un produit du christianisme Syriaque (Luxenberg).

Il semble que ces écoles révisionnistes suivent souvent des méthodologies qui ne conviennent pas entre eux (que ça soit entièrement ou partiellement) et aucune d’elles ne semble convenir sur n'importe quel autre scénario particulier, que ce soit historique, social, culturel, politique, économique ou religieux.

Quelque chose qui semble être très fondamentale dans leurs analyses est que les révisionnistes sont disposés à formuler n'importe quelle théorie pour prêter une vraisemblance à leurs avis au sujet du Coran et de l’Islam, peu importe qu’il contredit toutes les évidences disponibles et bien établie, documentaires ou autres.

À cet égard nous découvrons que Luxenberg n'en est pas différent. C'est ce que précisément a signalé récemment Robert Hoyland. Tout en discutant le corpus de la preuve documentaire concernant l’avènement l'Islam et de son absence presque totale dans le travail de Christoph Luxenberg, entre d'autres, il dit :

« D’abord, nous avons un certain nombre de preuves physiques - particulièrement de sources non-Musulmanes, papyrus, inscriptions et excavations archéologiques - qui peuvent servir de référentiel externe utile et dont l’exploitation de la richesse vient juste de commencer d'une façon systématique.

Deuxièmement, la mémoire historique de la communauté musulmane est plus robuste que certains ont prétendus. Par exemple, plusieurs Divinités, Rois et Tribus de la période Arabe préislamiques qui ont été dépeints par les Historiens Musulmans du IXème siècle paraissent également dans des monuments épigraphiques, de même pour plusieurs Souverains et Gouverneurs du premier état islamique tôt.

Ceci rend très difficile d’accepter les scénarios historiques qui exigent pour leur concorde une discontinuité totale dans la mémoire historique de la communauté Musulmane - telle celle de Mohamed (saws) n'a pas existé, le Coran n'a pas été écrit dans l'arabe, la Mecque était à l'origine dans un endroit différent etc., peuvent-ils vraiment être justifiés -. Plusieurs de ces scénarios se fondent sur l'absence de preuves, mais cela semble une humiliation de faire un tel recours quand il y a déjà beaucoup de genres d'évidences matérielles attendant toujours à être étudiées » (100).

Des conclusions semblables ont été également tirées par Federico Corriente, qui a dit :

« Puisque ni les sources d'histoire du début de l'Islam ni les rapports dignes de confiance sur les situations sociolinguistiques de l'Arabie en cette période ne semblent soutenir les revendications de Luxenberg, qui sont habilement entrelacées comme une chaîne, dans son hypothèse de l'utilité d'une lecture Syro-Araméenne alternative des passages obscurs du Coran, on s'interroge sur l'exactitude des solutions particulières qu’il nous offre dans chaque cas, seulement on ne peut que constater que quelques unes d’elles peuvent être acceptées comme améliorations aux interprétations traditionnelles, alors que certaines sont permises mais inutiles en tant que solutions de rechange interprétatives transparentes, et certaines pourraient être tout à fait rejetées en raison des malentendus et des fausses informations » (101).

Dans cet article, nous avons examiné les hypothèses de Mingana et de Luxenberg au sujet des origines de divers aspects de l’écriture Arabe. Il a été démontré que l’écriture Arabe provient de l’écriture Nabatéenne en opposition avec l’origine syro-araméenne de Luxenberg. Les marques diacritiques en Arabe étaient déjà connues avant l'arrivée de l'Islam et il est plus probable qu'elles soient issues de l’écriture Nabatéenne.

Quant aux marques de voyelle en Arabe, Abou Al-Aswad Al-Douali était le premier à les avoir présentées. Il est très peu probable qu'elles pourraient parvenir du Syriaque parce que les exigences orthographiques du Syriaque étaient en grande partie différentes de celles de l'Arabe. En outre, la terminologie pour la vocalisation dans l’écriture Syriaque est connue seulement à partir d’auteurs récents tels que Bar Hebraeus et montre bien son influence par l'orthographe Arabe.

Par conséquent, la supposition des sept "Ahruf" du Coran représentant les sept signes des voyelles Syriaque est insoutenable. L'analyse des faisceaux d'Isnad prouve que la tradition de la révélation du Coran dans les sept "Ahruf" était déjà connue au premier siècle de l’Hégire et ils ne peuvent nullement représenter la vocalisation Syriaque de Jacob d'Edesse.

Le Coran était paléographiquement un document gelé au premier siècle de l’Hégire comme vu dans les manuscrits ainsi que dans les qira'at avec lequels ils ont été écrits ; MS Arabe 328a et MS Or. 2165 étant deux bons exemples. En outre, à l’examen des caractéristiques géographiques des preuves historiques manuscrites, prouve que la majeure partie des inscriptions Syriaques à la période préislamiques est confinée dans la région d'Edesse de l’actuel Turquie du sud. Le Syro-araméen, étant la langue avec laquelle Luxenberg a indiqué que le Coran avait été partiellement écrit. Il est certainement loin de la région et en particulier de la Mecque et du Hedjaz. Les plus proches des inscriptions arabes préislamiques en termes de géographie sont les inscriptions Nabatéenne.

En fait, une grande partie du contexte socio-historique des origines de l'Islam peut être expliqué en considérant le milieu Nabatéen. Le milieu Nabatéen couve avec succès les origines de l’écriture Arabe, le système des points et l’Arabe classique préislamique. La proximité entre l’écriture Arabe et l’écriture Nabatéenne rend l'hypothèse de Luxenberg pour une lecture syro-araméenne du Coran infaisable. Un milieu Syro-Araméen trouverait beaucoup de difficultés pour rendre compte des aspects de l'origine de l’écriture Arabe, de son système de points, des origines de l'Arabe classique et du contexte socio-historique en relation avec la montée de l’Islam.

Il existe d'autres explications valables pour la présence de mots Araméens dans le Coran. Les Nabatéens étaient des Arabes qui ont écrit en utilisant l’écriture Nabatéenne à partir de l’écriture Araméenne. La preuve se trouve même dans l'inscription de Raqush (daté 267), le texte arabe le plus ancien qui contient des archaïsmes Araméens et qui prouve que les Arabes étaient au courant de l'araméen. D'ailleurs, une stèle de Tayma au nord de l’Arabie Saoudite gravée avec l’écriture Araméenne suggère que l'araméen ait été très important au Hedjaz dès le IVème/Vème siècles AJC. Ainsi, il serait étonnant qu'il n'y ait pas un certain nombre de mots Araméens dans le dialecte Arabe du Hedjaz. Quoi qu’il en soit, ceci ne fait pas de l’Arabe une langue mélangée.

Pour soutenir son hypothèse par la lecture présumée Syro-Araméenne du Coran, Luxenberg déplore les origines tardives de la littérature islamique. Il dit :

« Selon la tradition islamique, le Coran remonte au VIIème siècle, alors que les premiers exemples de la littérature arabe dans le plein sens de l'expression sont trouvés seulement deux siècles plus tard, à l'époque de la "Biographie du Prophète" ; c'est-à-dire, de la vie de Mohamed (saws) selon l’écrit d’Ibn Hichem, qui est décédé en 828. Nous pouvons ainsi établir que la littérature arabe post-Coranique s'est développée par des degrés, dans la période suivant le travail d’Al-Khalil Ibn Ahmad, qui est décédé en 786, le fondateur de la lexicographie Arabe (Kitab Al-Ayn), et de Sibawayh, décédé en 796, à qui revient la grammaire de l'Arabe classique. Maintenant, si nous supposons que la composition du Coran soit ramenée à l’année du décès du Prophète Mohamed (saws), en 632, nous trouvons un intervalle de 150 ans, durant lequel il n’y a eu aucune trace de la littérature arabe notable. »

Il ne lui est pas venu à l’esprit que les sources Syriaques qu'il emploie pour prouver la lecture présumée Syro-Araméenne du Coran sont encore plus tardives que les sources Islamiques. Comme nous l’avons vu, il méconnait les sources physiques des origines de l'Arabe et du Syriaque. Pour donner encore plus d'exemples, la littérature arabe la plus ancienne nous est parvenue sous forme de collections de hadith.

Un exemple est la "Sahifah" d’Hammam Ibn Mounabih (décédé 110H /719), un disciple du Yéménite et compagnon du Prophète Abou Hourayrah, (décédé 58H/677), à partir duquel Hammam a écrit cette Sahifah, qui comporte 138 Hadiths, aux alentours de la première moitié du premier siècle de l’Hégire (VIIème siècle). Cette Sahifa encore disponible dans des éditions imprimées récentes (102). Les collections de Hadiths d'Ibn Jurayj (décédé 150H) et de Ma’mar Ibn Rashad (décédé 153H), dont bon nombre d'entre eux ont été transmis par Abd Al-Razzaq dans son Mousannaf, sont également disponibles aujourd’hui (103). Motzki a étudié le contenu du Mousannaf d'Abd Al-Razzaq et l’a estimé au premier siècle de l’Hégire (104).

Indépendamment du manque de discernement de Luxenberg concernant le développement de l’orthographe, grammaire et lexicographie Syriaques et Arabes, son travail ne fait aucune tentative pour ancrer ses arguments dans n'importe quel contexte historique crédible, comme nous l’avons déjà vu. Il n'est pas clair : qui étaient ces Chrétiens de la Mecque préislamique, qui a employé le supposé "aramäische-arabische Mischsprache" du Coran, et de quelle façon ces écritures ont produit le Coran arabe ? Quels genres d'échelles du temps ont été impliqués dans la transformation ? Qu’est ce qu’étaient leur croyance religieuse et qu’est ce qui les a poussés à changer leur (!) religion en Islam ? (105)

Pour conclure avec une citation de Walid Saleh « essentiellement, Luxenberg argue que l'Islam est le résultat d'une comédie (ou tragédie) philologique des erreurs. On se rappelle ici de la raillerie de l'Empereur Julien contre les Chrétiens et la réponse convenable des chrétiens ; la paraphrasant, on pourrait dire que les Musulmans ont lu leur Ecritures Saintes l'ont mal comprises ; lorsqu’ils l’a comprendrons, ils sauraient qu’ils sont des chrétiens ».

Et Allah sait mieux que quiconque!

Bibliographie:

[83] A. Mingana, "Syriac Influences On The Style Of The Kur'an", Bulletin Of The John Rylands Library Manchester, op cit., p. 78.
[84] J. A. Bellamy, "The New Reading Of The Namarah Inscription", Journal Of The American Oriental Society, 1985, Volume 105, p. 47.
[85] J. A. Bellamy, "Two Pre-Islamic Arabic Inscriptions Revised: Jabal Ramm And Umm Al-Jimal", Journal Of The American Oriental Society, 1988, Volume 108, p. 377.
[86] W. Wright, Fragments Of The Or Syriac Grammar Of Jacob Of Edessa: Edited From Mss In The British Museum And The Bodleian Library, 1871, Gilbert & Rivington: London.
[87] This discussion is taken from J. B. Segal, The Diacritical Point And The Accents In Syriac, op cit., p. 41.
[88] J. B. Segal, The Diacritical Point And The Accents In Syriac, op cit., p. 2 for translation. Original text in W. Wright, Fragments Of The Or Syriac Grammar Of Jacob Of Edessa: Edited From Mss In The British Museum And The Bodleian Library, op cit., p. ܒ.
[89] G. Phillips, A Letter By Mār Jacob, Bishop Of Edessa On Syriac Orthography, 1869, William And Norgate: London & Edinburgh, pp. 4-10. For Syriac text, op. cit., p. ܛ.
[90] J. B. Segal, The Diacritical Point And The Accents In Syriac, op cit., pp. 41-42.
[91] C. H. M. Versteegh, Arabic Grammar And Qur'anic Exegesis In Early Islam, op cit., p. 28.
[92] W. Wright, A Short History Of Syriac Literature, 1894, Adam And Charles Black: London, p. 211.
[93] R. J. H. Gottheil (ed.), Bar ‘Alī (Īshō‘) The Syriac-Arabic Glosses, 1910-1928, Tipografia Della R. Accademia Nazionale Dei Lincei: Roma. Part 1 edited by G. Hoffmann, 1874; Part II by R. J. H. Gottheil, 1908.
[94] Hassan Bar Bahlul (ed. R. Duval), Lexicon Syriacum auctore Hassano bar Bahlule: voces Syriacas Græcasque cum glossis Syriacis et Arabicis complectens, 1888-1901, 3 Volumes, e Reipublicæ typographæo: Parisiis.
[95] J. A. Haywood, Arabic Lexicography: Its History, And Its Place In General History Of Lexicography, 1965, Second Edition, E. J. Brill: Leiden, see the chart facing p. 132.
[96] R. J. H. Gottheil (ed.), Bar ‘Alī (Īshō‘) The Syriac-Arabic Glosses, op cit., p. 9; Hassan Bar Bahlul (ed. R. Duval), Lexicon Syriacum auctore Hassano bar Bahlule: voces Syriacas Græcasque cum glossis Syriacis et Arabicis complectens, Volume 1, p. 11.
[97] J. A. Haywood, Arabic Lexicography: Its History, And Its Place In General History Of Lexicography, op cit., p. 122.
[98] ibid.
[99] For example, see R. Payne Smith's Thesaurus Syriacus, 1879, Tomus I, e typographeo Clarendoniano: Oxonii, see the preface on pp. v-vi for details. For Luxenberg's use of these lexicons see Die syro-aramäische Lesart des Koran: Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache, op cit., p. 8.
[100] R. Hoyland, "New Documentary Texts And The Early Islamic State", Bulletin Of The School Of Oriental And African Studies, 2006, Volume 69, No. 3, pp. 410-411.
[101] F. Corriente, "On A Proposal For A "Syro-Aramaic" Reading Of The Qur'an", Collectanea Christiana Orientalia, 2003, Volume I, pp. 309-310.
[102] M. Hamidullah, Sahifa Hammam bin Munabbih: The Earliest Extant Work On The Hadith, 1979, Centre Cultural Islamique: Paris.
[103] ‘Abd al-Razzaq b. Hammam al-San‘ani (ed. Habib al-Rahman al-A‘zami), Al-Musannaf, 1972, 11 volumes, Beirut.
[104] H. Motzki, "The Musannaf Of ‘Abd al-Razzaq Al-San‘ani As A Source of Authentic Ahadith of The First Century A.H.", Journal Of Near Eastern Studies, 1991, Volume 50, pp. 1-21; A detailed discussion of it is available in Motzki's book: H. Motzki (trans. Marion H. Katz), The Origins Of Islamic Jurisprudence: Meccan Fiqh Before The Classical Schools, 2002, Brill: Leiden, Boston, Köln, see chapter II.
[105] For such questions see also Simon Hopkins' review of Luxenberg's Die syro-aramäische Lesart des Koran: Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache in Jerusalem Studies In Arabic And Islam, 2003, Volume 28, pp. 376-380. Offprint of this paper is available
online.

4 commentaires:

عماد حبيب a dit…

comme convnu, je te fat signe :

http://imedhabib.blogspot.com/2007/07/blog-post_08.html

Anonyme a dit…

A t on trouvé de l'écriture nabatéenne à Pétra ? Si oui peux tu me diriger vers ce site? Merci. MALI

Anonyme a dit…

Naravas,

Je repasserai voir tout cela ;-)

Téméraire a dit…

@Mali :
Je pense que les plus anciennes inscriptions Nabatéennes ont été trouvées dans la cité Troglodyte de Petra.
http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/langue_et_ecriture_nabateennes.asp

http://aleph2at.free.fr/index.html?http://aleph2at.free.fr/ecritures/nabateen/exemples.htm

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