Port de Marseille, février 1992.
J’étais content ce matin d’embarquer sur le Bateau Habib en direction de Tunis avec ma nouvelle voiture que je viens d’acquérir à Bruxelles. C’est la première fois que j’embarque en voyage maritime et je me suis permis une cabine commune avec une autre personne, je ne pouvais pas m’offrir le luxe d’une cabine individuelle.
Le "Habib" a quitté le quai vers 9 heures du matin, et je me suis installé sur le navire à côté de la piscine déserte pour observer la mer autour de moi, contempler le ciel et rêvasser.
La journée était très monotone, rien de spécial, je voulais être seul et éviter les discussions inutiles avec des émigrés qui rentrent au pays avec leurs voitures pleines à craquer de tout genre de produits, même des salles de bains.
Le soir après le diner, je suis tombé sur des connaissances du Lycée Khaznadar qui m’ont invité à une partie de belote parce qu’il leur manquait un 4ème joueur. L’ambiance était détendue et on a bien ri des attitudes comiques de nos émigrés qui sont d’un certain niveau socioculturel très médiocre.
A environ minuit, nous nous sommes séparés et je me suis dirigé à ma cabine et à cet instant je me suis souvenu que je la partageais avec une autre personne inconnue et je me suis senti gêné.
J’ai ouvert doucement la porte de la cabine et je me suis retrouvé en face d’un homme âgé d’environ une soixantaine d’année, un beau gaillard style Jean Gabin. Il m’a fait un grand sourire et me tendu sa main :
- « Bonsoir, Mohamed CH. »
- « Bonsoir, Téméraire » et j’ai ajouté « Euh … heureux de partager votre cabine », son visage s’esquissa d’un sourire confiant.
Après avoir enlevé mon manteau, je me suis assis au bord du lit et Mohamed m’a tendu un thermos et m’a demandé si je voulais du café chaud. Quoi que je ne boive plus ni thé, ni café après 18 heures j’ai accepté avec un sourire. Cela me permettra surement d’être éveillé pour une grande partie de la nuit, j’ai toujours été très sensible à la caféine et aux excitants.
Mohamed entama la conversation en enquérant sur les raisons de mon voyage, retour définitif ou retour provisoire. Il fut surpris de savoir que j’ai quitté la Tunisie il y a peine 15 jours, lui il a quitté le pays il y a de cela plus de 40 ans !!! et son dernier retour datait de plus de 15 ans. Sa femme vient de le précéder avec sa benjamine par avion, il fait un retour définitif au Bled et il laisse en France des enfants et des petits enfants.
On discuta pendant des heures sur divers sujets et puis je luis dit :
- Tu sais, tu portes le même nom de famille que ma Mère mais ce n’est pas une coïncidence puisque ce nom de Famille est très répandu dans le monde arabe et non pas uniquement en Tunisie.
- Oui, c’est vrai, et ta Maman, elle est de quelle région ?
- Ma Mère est Sfaxienne
- Tiens, moi je suis originaire de Mahrès, c’est tout près de Sfax et en plus mon père était aussi Sfaxien, il s’appelait Houcine.
- Ha ha ha, ce n’est pas vrai !!!, mon grand-père aussi s’appelait Houcine CH.
- Drôle de coïncidence, et quel métier faisait ton Grand-père ?.
- Industriel dans la confiserie "El Halwa" …
Mohamed se tut quelques instants, se leva, noya son regard dans le noir de l’hublot et se retourna envers moi avec un visage crispé. En un instant, j’ai eu un frissonnement et une peur et dès que je me suis levé, il me prit entre ses bras et me serra très fort contre lui, je me suis laissé faire sans me débattre.
Il finit par me lâcher, ses yeux brillaient et les larmes n’en sortaient pas. Il se reprit et il me dit :
- Je pense que je suis ton oncle
J’ai répondu
- Je le pense aussi !!!
Au fait je me suis souvenu avoir entendu dans les secrets de la famille à propos d’un oncle perdu.
Plus tard, j’ai découvert la version officielle.
Installé depuis deux générations à Sfax, mon grand-père dont les origines étaient algériennes a fait fortune dans le négoce des céréales avec les juifs lorsqu’il a été membre à la Chambre de Commerce et d’Agriculture de Sfax, par la suite, il s’est reconverti dans l’industrie de la confiserie.
Prétextant sa tutelle sur ces jeunes frères et sœurs, Si Houcine a vécu en célibataire et libertin et il a avait une belle concubine de Mahrés qu’il a fini par épouser sans contrat suivant la mode répandue de "Mariage Orfi". Ses sœurs ont réagi négativement à ce mariage et Si Houcine a fini par divorcer cette épouse qui vient de lui donner déjà un enfant qui fut nommé Mohamed.
A 40 ans, Si Houcine épousa une jeune et fraiche Sfaxienne de 14 ans, ils vécurent heureux et eurent plusieurs filles et garçons et Mohamed fut oublié contre une pension annuelle.
Ma mère se souvient que ce fils rendit visite, un jour à son père, mais en l’absence de ce dernier, il fut chassé par ses propres tantes qui ne voulaient pas le reconnaître.
Si Houcine amoureux de sa jeune épouse, prit une retraite anticipée pour s’occuper uniquement d’elle et donna la gestion totale de ses affaires à ses fils qui en quelques années dilapidèrent tous les biens du vieux, heureusement qu’il garda en secret quelques pieds d’oliviers !!!.
Mohamed grandit en voyant en cachette son père qui le visitait à la limite une fois par an. A 20 ans, il émigra en France ou il trouva un emploi, se maria avec une tunisienne et vécut heureux au milieu de la famille qu’il vient de constituer sans avoir perdu la mémoire de ce père ingrat et pourtant qu’il aimât en cachette.
Le matin était déjà proche, il faisait très frais et pourtant je suis sorti avec mon nouvel oncle sur le pont supérieur du navire. Tous les deux on avait besoin de respirer à plein poumons.
Nous avons continué notre discussion en lui donnant les nouvelles de mes autres oncles dont il connaissait les noms puisqu’il était leur frère ainé.
Il ne regrettait pas sa vie et il n’en voulait pas du tout à ce père auquel il trouvait des excuses et justifiait même son comportement. Il me parla beaucoup de sa maman, de son enfance, de son voyage en France et finalement de cette coïncidence inattendue.
Le Habib arriva à La Goulette, nous nous sommes serrés l’un contre l’autre, nous avons échangé nos coordonnés et nous nous sommes promis de nous revoir.
A l’occasion d’une fête familiale qui a réunie la plupart de mes oncles et tante ainsi que leurs enfants, cousins et cousines, j’ai fait la révélation de cet Oncle Perdu. Contrairement aux feuilletons égyptiens, mes oncles sont restés de sang froid et il leur importe peu de connaître leur frère. D’ailleurs, je n’ai pas voulu lever le ton pour leur rappeler sa part d’héritage qu’ils ont gaspillé.
Mon Nouvel Oncle s’est installé à Mahrès, je lui ai rendu visite une seule fois et on s’est téléphoné plusieurs fois sur une période de 10 ans. Cela fait 5 ans que je n’ai pas eu de ses nouvelles, je viens aujourd’hui de me souvenir de lui je vous promets de repartir à sa recherche. J'espère de tout mon coeur qu'il soit encore en vie.
Le choix
Il y a 11 mois
14 commentaires:
Merci pour cette histoire touchante...
Je trouve que c'est bien ecrit.
Je souhaite que tu re-retrouve ton oncle. Bon courage.
Une histoire belle et triste à la fois!
moi je crois au signes,
ce n'est pas une coincidance,
t'aurais du maintenir la relation avec ton oncle
part a sa recherche l'ami
j'adoreee les retrouvailles
Histoire très émouvante.
Je pense aussi que tu devrais rechercher ton oncle.
Et tu nous racontes la suite, ok????
les liens de sang ne se defont jamais! Cet oncle n'a surement pas besoin d'argent, ni d'heritage puisqu'il a fait sa vie et a travaille.
Il a peut etre besoin juste d'une famille, d'un sourire et de reconnaissance. Tu es sa famille alors garde le contact, introduit pour commencer ta petite famille, ta maman surtout, tes freres et soeurs...
De quoi nous melons-nous? Ton grand-pere etait un homme libre et responsable de faire ce qu'il voulait, pourquoi ne pas respecter ses choix. Parfois les membres d'une famille sont capables de provoquer des tragedies par leur comportement injuste.
Ils n'ont pas peur de ce que leur reserve Allah pour les peines qu'ils affligent a autrui! c'est dommage.
Merci de partager ton histoire avec nous.
Tas
et nafta alors, dans l'histoire?
Je me suis toujours posé la question de savoir, pourquoi lorsque l'on a une famille accessible on fait tous pour prendre ses distances et lorsque l'on a une famille peu accessible on fait tous pour la découvrir.
@Dreams :
Merci pour le compliment, et marhbé bik dans mon Blog.
@Selim :
Merci, la Vie nous cache des surprises inattendues parfois, parfois elles sont tristes mais heureusement que le "Temps" et capable d’amortir ses douleurs.
@Hmayed :
C’est une incroyable coïncidence et je regrette que je n’aie pas maintenu un contact permanent avec lui.
@Massir :
Oui, c’est vrai et dommage que mes oncles et tantes ont été très passifs par rapport à ses retrouvailles et je regrette de ne pas avoir maintenu le contact permanent avec cet oncle revenant.
J’espère le retrouver et vous faire part de ses nouvelles.
@Tas :
C’est vrai que cet oncle a refait sa vie et a aussi retrouvé le bonheur et n’a nullement besoin ou héritage de la part de ses jeunes frères mais je pense que cette coïncidence et cette rencontre ont ranimé en lui des souvenirs peut être aussi malheureux.
Il m’a exprimé son sentiment de rencontrer ses frères mais eux n’avaient pas envie de se souvenir de lui. Je respecte mes oncles et je ne peux pas trop pousser le bouchon et les vexer.
Je pense que notre rencontre a ranimé en lui des sentiments oubliés envers des frères et des sœurs dont le temps a effacé de sa mémoire.
Cet homme a déjà constitué une famille, réussi sa vie et a retrouvé le bonheur et il n’est pas dans le besoin de ce sentiment.
Dommage pour ses frères.
@Tun-68 :
Nefta c’est du côté de mon père et Sfax du côté de ma mère.
C’est la nature humaine qui nous rend toujours insatisfaits.
Insatisfaits de ceux qui nous entourent ou insatisfait du manque de personne qui puissent nous entourer.
Tu es un homme croyant et qui ikhaf rabbi et tu connais certainement le sort que Allah reserve a tout "9ati3 ra7im".
"Je peux comprendre" que ses freres ne veuillent pas le rencontrer surtout de peur qu il reclame sa part de l heritage, mais ses soeurs pourquoi n ont-elles pas voulu renouer avec lui??? et ta maman dans tout ca, vu que tu es proche d elle t aurais pu la convaincre de revoir son fere et rahou certainement 9albha 7ann et comme ca tu lui epargnes dhanb 9ati3 arrahim.
Pars a la recherche de ton oncle surtout que romdhane 9rib ou belikchi rabbi el marra hedhi i7annin 9loub akhoutou. Rabbi m3ak wenchallah iwaf9ik.
@Bichette :
Je n’ai pas rompu les liens relationnels, sauf que mes occupations ne m’ont permis de rester en contact permanent avec lui, ensuite il a changé le n=° de téléphone, moi pareil et on s’est plus recontactés.
En réalité, le problème n’est pas d’héritage (qui au fait n’existe plus, le peu qui est resté a été départagé depuis plus de 40 ans) et je ne pense pas que cet oncle va demander sa part.
Mes oncles/tantes n’ont pas connu directement cet homme et aussi ils ont vaguement entendu parler de lui.
Ce qui leur importe est que l’histoire ne soit pas diffusée pour ne pas porter atteinte à l’image de leur père qui était le symbole d’un homme très correct (ce qu’il a été réellement depuis son mariage avec ma grand-mère).
Ma mère (et je pense aussi mes tantes avec leurs caractères féminins) a été intéréssé d’aller le rencontrer, mais les circonstances n’ont pas été propices puisque moi-même, en raison de mes engagements, je n’ai pu le rencontrer qu’une seule fois.
Merci pour tes conseils et vœux, ils m’ont vraiment touché.
Je ne savais pas qu'à Bruxelles il y avait un port d'où partait le "7 novembre"...pardon le "Habib".
Excellent récit. MALI
@Mali:
Moi aussi je ne savais pas !!!
Au début de mon récit j'ai indiqué "Port de Marseille" :)
Le monde est petit!
Pt être tu le rencontrera une autre fois par hasard!
Ze vx bien que tu fais un tour sur mon blog , le suzet concerne Sfax
@Popo :
Je ne crois pas que le Hasard puisse se manifester deux fois autour du même événement.
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